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Parfois surnommé le "Soljenitsyne chinois", le poète et opposant chinois en exil Liao Yiwu rêve que la Chine "se disloque" car telle qu'elle est "c'est une menace pour le monde entier".
"Moi, mon rêve est que la Chine se disloque en une dizaine de pays. Ce serait l'idéal. Car la Chine, dans ses dimensions actuelles, est une menace pour le monde entier. Si elle se divisait, ce serait beaucoup mieux pour le reste de la planète", a confié l'écrivain à l'AFP à l'occasion d'un passage à Paris.
"Retourner en Chine ne me concerne pas. Moi ce que j'aimerais, c'est rentrer dans mon Sichuan natal", ajoute le poète qui vit en exil en Allemagne depuis 2011, après avoir été torturé, emprisonné, puis contraint au silence et à la marginalisation par les autorités chinoises.
"Quand le Sichuan sera indépendant, je serai ravi d'y retourner. Nous élirons un président et évidemment ce sera un bon cuisinier", ajoute-t-il avec malice.
Plus sérieusement, l'écrivain se déclare "très pessimiste" sur l'avenir de la Chine.
"Il y a 30 ans, nous pensions qu'on pouvait évoluer vers la démocratie. Aujourd'hui la seule ambition est de faire de l'argent".
"Chacun des pays occidentaux qui ont sanctionné la Chine à la suite du massacre du 4-juin (1989 sur la place Tiananmen à Pékin, NDLR) se bat pour faire des affaires avec les bourreaux, même si ces bourreaux continuent à arrêter et à tuer des gens", déplore l'écrivain.
"La stratégie de Xi Jinping est d'asservir la population à travers l'appétit de consommation. Les bourreaux sont en train de triompher", assène le poète.
Il s'indigne quand il évoque la présence sur le campus d'Harvard aux États-Unis de la fille de Xi Jinping et d'autres enfants de dirigeants du Parti communiste chinois. "Même les maîtresses des dirigeants du parti obtiennent des bourses d'études pour aller étudier à Harvard", raconte-t-il.
- "Le grand massacre" -
"Ceux qui ont gardé leurs idéaux sont marginalisés, ceux qui font de l'argent sans jamais critiquer le Parti peuvent faire tout ce qu'ils veulent".
Né en 1958, Liao Yiwu a été condamné à quatre ans de bagne pour avoir écrit un poème qui dénonçait le massacre du 4 juin 1989.
Ce poème, intitulé "Le grand massacre", ouvre son nouveau livre, "Des balles et de l'opium" (Globe) qui vient de paraître en français. Trente ans bientôt après Tiananmen, ce livre (traduit du chinois par Marie Holzman) fait œuvre de mémoire en compilant les témoignages des oubliés du massacre. Le livre (interdit en Chine) donne une voix et un nom à des dizaines de victimes oubliées.
"Pour moi, comme pour tous les Chinois, Tiananmen a été un moment cataclysmique", dit-il.
"Évoquer le massacre demeure tabou en Chine. Mon combat, explique l'écrivain au crane rasé, consiste à faire connaître la vérité au plus grand nombre".
"A l'aube du 4 juin 1989, le gouvernement chinois a mobilisé plus de 200.000 soldats afin d'encercler Pékin puis d'y pénétrer. Ils ont perpétré un massacre qui a bouleversé le monde entier. Pourtant, à ce jour, nous n'avons toujours pas les chiffres exacts du nombre de victimes", raconte-t-il.
Selon les ONG de défense des droits de l'homme, le nombre de morts serait compris entre 2.600 et plus de 3.000. Le collectif des mères de Tiananmen a pu rassembler 202 noms "mais on sait bien qu'il y en a beaucoup plus".
Quand on évoque cet événement, l'image d'un jeune homme en chemise blanche se dressant sans arme devant une colonne de chars revient à l'esprit. Qui était ce jeune homme courageux? "On ignore son sort, on ignore son nom", répond Liao Yiwu.
"Le nom de Wang Weilin qui lui fut donné par des journalistes occidentaux a été inventé. Symbole des millions d'opposants à la tyrannie du 4-juin, on ignore tout de lui".
Travailleur du souvenir, Liao Yiwu avait déjà eu l'occasion de faire connaître à l'opinion internationale le système concentrationnaire chinois dans son livre "Dans l'empire des ténèbres", un livre comparable à "L'archipel du Goulag", salué notamment par son ami le prix Nobel de la paix Liu Xiabo (mort en détention en 2017).