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La crise du 737 MAX, provoquée par deux accidents ayant fait 346 morts, a ébranlé et terni l'image de Boeing, qui vient de retirer la casquette de président du conseil d'administration à son patron Dennis Muilenburg.
Cette première sanction pourrait conduire à son limogeage dans les prochains mois et amorcer un changement dans la culture interne qui, jusqu'ici, a donné la priorité aux actionnaires au détriment de la sécurité, estiment des experts.
M. Muilenburg, 55 ans, demeure le directeur général de l'entreprise et va, dans le cadre de cette fonction, continuer à en superviser les opérations.
Mais la perte de son titre de président du conseil, annoncée vendredi par le constructeur aéronautique, lui enlève le pouvoir de décider toute nouvelle feuille de route sans accord préalable de cette instance, qui peut le congédier à tout moment.
"Le conseil a voulu une continuité dans la direction par ces temps de crise mais souhaitait en parallèle signaler un changement à venir, c'est un avertissement à M. Muilenburg", en déduit Richard Aboulafia.
Cet expert chez Teal Group est convaincu que la séparation des rôles "prépare tranquillement le terrain au remplacement de M. Muilenburg si les choses ne s'arrangent pas dans les deux ou trois prochains mois".
- Déstabiliser -
Si Boeing affirme "avoir toute confiance en Dennis" Muilenburg et insiste que revoir la gouvernance "va lui permettre de se concentrer à la gestion de l'entreprise", nombreux sont ceux estimant que les jours du dirigeant sont comptés.
Trois mois? Un an? Les hypothèses divergent mais toutes s'accordent pour dire que M. Muilenburg a été laissé momentanément en place pour aider au retour en service du 737 MAX, cloué au sol depuis sept mois.
Il "doit rester pour résoudre le problème du MAX, éviter de déstabiliser les opérations et miner le moral des équipes", avance Michel Merluzeau chez AirInsight Research.
Arthur Wheaton à l'université Cornell estime que Boeing "gagne du temps pour mettre en place de nouvelles procédures en termes de sécurité".
Dennis Muilenburg avait succédé à Jim McNerney en juillet 2015, près de quatre ans après le lancement du programme 737 MAX mais quasiment deux ans avant la certification.
Il a par conséquent hérité des décisions prises par son prédécesseur, ce qui rend difficile de déterminer sa part de responsabilités dans la crise actuelle.
Pour autant, sa réponse initiale aux accidents des vols 610 de Lion Air et 302 d'Ethiopian Airlines lui a valu de nombreuses critiques et des appels à démissionner.
"Il est clair qu'en rejetant la faute immédiatement sur les pilotes de Lion Air (...) cela a suscité une condamnation générale", avance Scott Hamilton, expert chez Leeham, qui parie sur un départ de M. Muilenburg en 2020.
"Il s'est passé beaucoup de temps avant que Boeing ne présente ses excuses après ces tragédies", renchérit Richard Aboulafia.
- Audition -
M. Muilenburg, qui a effectué toute sa carrière chez Boeing, pourra plaider sa cause le 30 octobre à l'occasion d'une audition très attendue devant des parlementaires américains.
C'est la première fois qu'un dirigeant de Boeing répondra aux questions des élus sur cette crise, qui a déjà coûté plus de 8 milliards de dollars à l'avionneur.
"Quand bien même cette audition se passe bien, ce ne sera pas positif pour lui", estime Charles Elson, enseignant spécialisé dans les questions de gouvernance à l'université du Delaware. "Dans toutes les entreprises où le PDG s'est vu retirer la casquette de président, il n'est pas resté en place longtemps."
La diminution des pouvoirs de M. Muilenburg intervient à un moment de tensions internes au sein de l'entreprise, notamment entre Chicago, siège de Boeing, et Seattle où se trouvent la division aviation commerciale (BCA) et les usines dont celle de Renton fabriquant le MAX, selon des sources proches du dossier.
Boeing n'a pas souhaité commenter.
Outre sa gouvernance, l'avionneur doit également envoyer des signaux forts sur un possible changement de culture interne marquée par l'obsession du cours en Bourse, s'accordent les experts.
Ceci passe par consacrer ses liquidités à la sécurité et au développement de nouveaux programmes avant de rémunérer les actionnaires.
"Il faut également nommer un ingénieur de formation au sein du conseil d'administration", ajoute Richard Aboulafia.
Boeing a reversé 78 milliards de dollars à ses actionnaires lors des 15 dernières années, contre 11 milliards d'euros pour Airbus, a calculé Bank of America Merrill Lynch.