Accueil Actu

La crise du coronavirus met à mal le "modèle" Amazon

Le coronavirus, qui oblige Amazon France à suspendre son activité pour ne pas avoir à payer une amende, met en lumière un modèle entièrement tourné vers l'efficacité et la satisfaction du client, mais qui s'attire des critiques pour son aspect "déshumanisé".

QUEL EST LE POIDS D'AMAZON?

Selon le baromètre Foxintelligence du commerce en ligne, la part de marché d'Amazon dans ce secteur en France s'est stabilisée à 36% lors de la quatrième semaine de confinement. Son volume d'affaires annuel dans le pays atteint 7,73 milliards d'euros, selon le panéliste Kantar.

Amazon emploie près de 10.000 salariés dans six entrepôts en France, environ 29.500 personnes réparties dans une vingtaine de centres de distribution au Royaume-Uni, et 13.000 salariés en CDI dans 13 sites logistiques en Allemagne.

QUE LUI REPROCHE-T-ON?

Deux plaintes ont été déposées en France, explique à l'AFP Alexandre Ebtedaei, avocat associé du cabinet FTPA spécialisé en droit du travail: "l'une au pénal pour mise en danger de la vie d'autrui et qui n'a pas encore été examinée, et l'une au civil, pour demander la suspension des activités d'Amazon jusqu'à ce que les mesures appropriées en matière de protection de la santé et de la sécurité des salariés soient mises en œuvre", cette dernière ayant conduit à la fermeture des sites français d'Amazon.

Le juge de Nanterre a mis en avant plusieurs problèmes: les tourniquets à l'entrée des sites qui "créent des rassemblements de salariés violant les mesures de distanciation", idem dans les vestiaires, le "passage des colis d'un salarié à un autre" susceptible de transmettre le virus, et enfin "des plans de prévention (détaillés dans le DUER, dossier unique d'études des risques, NDLR) qui n'ont pas été suffisamment communiqués", notamment via des procès-verbaux.

Au Royaume-Uni, le syndicat GMB a dénoncé la semaine dernière la situation dans certains entrepôts, estimant qu'ils étaient des "terrains favorables au coronavirus".

Amazon indique avoir distribué en France "plus de 127.000 paquets de lingettes désinfectantes, plus de 27.000 litres de gel hydroalcoolique, ainsi que plus de 1,5 million de masques", mis en place "des contrôles de température et des mesures de distanciation sociale" et "triplé (ses) équipes d'entretien".

QUE RÉVÈLE CETTE SITUATION DU MODÈLE D'AMAZON?

Pour Julien Dutreuil, ancien d'Amazon et associé au sein du cabinet de consultants Bartle, le "modèle" du géant américain est basé sur "du quasi 100% humain, avec des salariés à temps plein et des intérimaires recrutés en période de pointe".

Avec un modèle économique encore instable mais en forte croissance, c'est le facteur humain qui est "le plus souple pour absorber les pics et les baisses de charges".

"Ce sont les premiers à avoir vu l'entrepôt comme une usine à produire du service, avec des +process+ très simples et déshumanisés", des salariés "interchangeables" et un "pilotage industriel de la capacité des ressources déployées", selon lui.

Leur jeu, souligne-t-il, c'est "+je te tiens, tu me tiens par la barbichette+: si on commence à les brider, ils menacent de fermer et de mettre tout le monde au chômage partiel".

En outre, Amazon est réputé pour "préférer ses clients à ses collaborateurs", affirme-t-il.

QUELLES CONSÉQUENCES POUR L'AVENIR?

Pour Me Ebtedaei, un élément de la décision du tribunal de Nanterre pourrait faire jurisprudence: "la non-prise en compte par Amazon des risques psycho-sociaux que peuvent générer ses propres mesures" vis-à-vis de l'épidémie, ce qui va "très très loin".

Selon l'avocat, cet argument pourrait être utilisé par des avocats de salariés et de syndicats de tous les secteurs lors des reprises d'activité, à moins que la cour d'appel n'intervienne pour "mettre un peu d'ordre".

En effet, cette situation inédite, souligne-t-il, "accroît la surveillance des salariés entre eux, bouscule l'ambiance et la convivialité entre collègues et fait qu'on va travailler avec une boule au ventre".

Avec un risque de paralysie des entreprises si la pénalisation pour "mise en danger de la vie d'autrui", voire "homicide involontaire", devient systématique, car il s'agit de risques contre lesquels on ne peut pas s'assurer: "on va clairement changer de monde".

À lire aussi

Sélectionné pour vous