Partager:
Les syndicats redoutent un "tsunami social", les partis de gauche "une hécatombe pour l'emploi": la prochaine fin de l'interdiction de licenciements en Italie, censée contrer les effets de la pandémie de coronavirus, met à rude épreuve le gouvernement hétéroclite dirigé par Mario Draghi.
Ce dernier avait pourtant prévenu dès sa prise de fonctions en février que "le gouvernement doit protéger tous les travailleurs, mais ce serait une erreur de protéger indistinctement toutes les entreprises". Selon lui, "il faut faire des choix".
La Commission européenne a dénoncé début juin un système unique en Europe qui s'avère "contreproductif", dans la mesure où il protège les salariés à contrat indéterminé mais "pas les travailleurs précaires", pour la plupart des jeunes et des femmes.
En France et en Allemagne, pays qui n'ont pas recouru au gel des licenciements mais ont financé le chômage partiel, les effets de la pandémie de Covid-19 sur l'emploi ont été moindres qu'en Italie, a fait valoir Bruxelles.
A priori, le gel des licenciements doit expirer fin juin pour les grandes entreprises, surtout dans la construction et l'industrie, et fin octobre pour les petites et moyennes entreprises, notamment dans les services.
- Le gouvernement divisé -
La coalition au pouvoir est divisée sur la question: si l'inclassable Mouvement 5 Etoiles (M5S) milite, à l'instar des syndicats, pour une nouvelle prolongation généralisée de l'interdiction de licencier, la Ligue de Matteo Salvini, parti d'extrême droite, réclame "la liberté d'embaucher" pour les entreprises.
Le ministre du Travail Andrea Orlando, membre du Parti démocrate (centre gauche) s'est hasardé en mai à annoncer devant la presse une extension du blocage des licenciements sous certaines conditions jusqu'à fin août, avant de faire marche arrière sous la pression du patronat italien.
Une solution pourrait passer par une prolongation "sélective" du gel pour certains secteurs très fragilisés comme le textile, telle que proposée par le ministre du Développement économique Giancarlo Giorgetti, membre de la Ligue.
Faut-il pour autant s'attendre à une avalanche de licenciements?
"Non, les estimations les plus réalistes parlent de 70.000 à 100.000 licenciements", déclare auprès de l'AFP Francesco Seghezzi, président de la Fondation Adapt, spécialisée dans la recherche sur le monde du travail.
Les syndicats, eux, redoutent "un million de chômeurs supplémentaires", alors que la Banque d'Italie a estimé à 440.000 le nombre de postes sauvés en 2020 grâce au blocage des licenciements.
"L'Italie a été l'un des premiers pays où la pandémie s'est répandue massivement, ce qui a généré une telle peur" que l'ancien gouvernement dirigé par Giuseppe Conte "a opté pour une fermeture généralisée de l'économie et donc un gel des licenciements" dès fin février 2020, explique M. Seghezzi.
"Les signes de reprise économique sont tellement encourageants que la levée de l'interdiction des licenciements pourrait avoir un impact moins dramatique que redouté initialement", a commenté à l'AFP David Benassi, professeur de sociologie à l'Université Bicocca de Milan.
- 'Miracle économique' -
Malgré l'interdiction en vigueur, 550.000 licenciements ont eu lieu en 2020, car ceux liés à des problèmes disciplinaires ou la fermeture d'entreprises n'ont pas été bannis. S'y ajoutent des centaines de milliers de travailleurs précaires dont le contrat n'a pas été renouvelé.
Au total, près d'un million de postes de travail ont disparu en 2020 en Italie.
Le taux de chômage a atteint 10,4% au premier trimestre, au plus haut depuis début 2019. Dans la catégorie des jeunes entre 15 et 24 ans, ce taux grimpe même à 39,2% pour les femmes et 32,7% pour les hommes.
Mais certains secteurs comme l'industrie manufacturière et la construction ont du mal à recruter, faute de main-d'oeuvre qualifiée. Près d'1,3 million de postes, dont la plupart toutefois temporaires, sont à pourvoir entre juin et août, selon l'Union des chambres de commerce (Unioncamere).
La Confindustria, principale organisation patronale du pays, se montre optimiste, tablant sur une croissance économique d'environ 5% en 2021, un pronostic partagé par la Banque d'Italie. Son président Carlo Bonomi estime que "les conditions pour un petit miracle économique sont réunies".