Partager:
La cour d'appel de Paris a fait fi lundi d'une récente décision de la Cour de cassation et maintenu la mise en examen pour torture et crimes de guerre d'un ex-rebelle islamiste syrien arrêté en 2020 en France, au "grand soulagement" des parties civiles.
"Par arrêt rendu ce jour, la chambre de l'instruction a, conformément aux réquisitions du ministère public, rejeté la requête de Majdi Nema", a indiqué le procureur général de Paris Rémy Heitz, précisant que le dossier revenait au juge d'instruction pour qu'il poursuive ses investigations.
"La chambre de l'instruction n'a donc pas suivi la solution qui avait été retenue par la chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt du 24 novembre 2021 (arrêt Chaban) en matière de crime contre l'humanité", a-t-il souligné dans un communiqué.
Dans cet arrêt Chaban, la Cour de cassation avait estimé que la justice française était incompétente dans l'affaire d'un autre Syrien, ex-soldat du régime de Bachar al-Assad, poursuivi pour complicité de crimes contre l'humanité.
Cette décision avait provoqué un séisme dans le monde judiciaire et des organisations de défense des droits de l'Homme.
Ces ONG craignaient qu'elle ne fasse jurisprudence et n'ait de lourdes répercussions sur d'autres enquêtes de ce type. A commencer par celle visant Majdi Nema, ancien porte-parole du groupe Jaysh al-Islam (Armée de l'Islam, JAI) qui demandait l'annulation des poursuites le visant.
- Compétence universelle -
Selon la Fédération internationale des droits de l'Homme (FIDH), qui a porté plainte à Paris contre JAI, ce mouvement islamiste d'obédience salafiste formé au début de la guerre civile pour combattre le régime de Bachar al-Assad, a fait "régner la terreur" au sein de la population civile de la région de la Ghouta orientale qu'il contrôlait avec d'autres factions rebelles, en pratiquant torture, enlèvements ou recrutement d'enfants-soldats.
Arrêté en janvier 2020 à Marseille, où il effectuait un séjour d'études, et écroué depuis, Majdi Nema, 33 ans, est soupçonné d'avoir participé, avec son groupe, à l'enlèvement de l'avocate et journaliste syrienne Razan Zeitouneh et de trois autres militants syriens le 9 décembre 2013.
Ils n'ont plus donné signe de vie depuis.
Majdi Nema est aussi suspecté d'avoir formé des enfants au combat et pratiqué des tortures sur des prisonniers.
Devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris le 7 février, ses avocats avaient remis en cause le principe de compétence universelle de la justice française dans ce dossier.
Mais la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris a écarté l'argument selon lequel la condition de la "double incrimination" prévue dans la loi du 9 août 2010 n'était pas remplie, a indiqué Rémy Heitz dans son communiqué.
Selon ce principe, les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre doivent être reconnus dans le pays d'origine d'un suspect que la France entend poursuivre.
- Pourvoi en cassation -
Or, la Syrie, comme d'autres pays, ne reconnaît pas ces crimes et n'a pas ratifié le statut de Rome, qui a créé la Cour pénale internationale (CPI).
Dans sa décision, la chambre de l'instruction relève que la loi syrienne réprime, comme en France, "l'enrôlement et la participation des mineurs à des hostilités", explique le procureur général.
Par ailleurs, "nombre d'autres crimes et délits de guerre tels que définis dans le code pénal français sont prévus par équivalence dans la législation syrienne, et sont conformes à la volonté affichée de ce pays de lutter contre ces infractions", ajoute-t-il.
"Cet arrêt est non seulement étonnant, mais il s'inscrit en opposition frontale par rapport à celui rendu par la Cour de cassation dans le dossier Chaban", ont observé auprès de l'AFP Mes Romain Ruiz et Raphaël Kempf, avocats de Majdi Nema.
"Cette position doit être combattue tant elle ébrèche le principe d'interprétation stricte du droit pénal qui protège tous les justiciables", ont-ils estimé, indiquant avoir "immédiatement enregistré un pourvoi" en cassation.
Pour Me Clémence Bectarte, avocate de la FIDH et de parties civiles aux côtés de Mes Marc Bailly et Patrick Baudouin, c'est au contraire "un énorme soulagement".
"C'est aussi une satisfaction que la chambre de l'instruction résiste à l'arrêt Chaban en reconnaissant la compétence des juridictions françaises dans ce dossier", a-t-elle ajouté.