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La vie d'Efrain a basculé 2 fois en sautant sur une mine, fléau en Colombie: il témoigne après avoir perdu un œil et son frère

Deux fois en neuf ans, Efrain Soto a vu sa vie basculer en sautant sur une mine antipersonnel, fléau en Colombie qui fait des centaines de victimes chaque année. La première fois il a perdu un oeil, la seconde fois son frère qui était avec lui.

"La première fois c'était le 14 juin 2011 à 13h30", se souvient l'homme de 38 ans. Il était en train de parler avec sa femme sur son téléphone portable non loin de son domicile quand "boum !".

Un filet de sang a coulé de son oeil, sa jambe était perforée par des éclats. Ses proches ont improvisé une civière avec un hamac et après cinq heures de transport il est arrivé gravement blessé à l'hôpital de Cucuta.

A l'endroit où sa vie a changé pour la première fois, il a planté une croix en bois.

"La deuxième fois c'était le 16 avril 2020", lorsque son frère Carlos, 41 ans, a fait exploser accidentellement la mine qui les a touchés tous les deux.

La tragédie s'est répétée: "chercher le hamac, courir, l'emmener. Il saignait, il saignait à mort", raconte Efrain.

Quand Carlos est arrivé dans la municipalité de Tibu, bien avant l'hôpital de Cucuta, "il avait les lèvres violettes", il était "déjà mort" dit Efrain qui se recueille souvent sur sa tombe en béton décorée de fleurs artificielles.

Si Efrain a eu la vie sauve, tomber deux fois dans ces pièges qui mutilent et tuent sans discernement a déclenché chez ce gaillard de 1,94m une "dépression nerveuse". Il souffre de sautes d'humeur et a "des envies de pleurer, des envies de courir" et une omniprésente "peur".

Victimes en augmentation 

Malgré l'accord de paix de 2016 avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc) après six décennies de conflit armé qui a fait plus de neuf millions de victimes (morts, disparus et déplacés), le nombre de personnes tuées ou blessées par des engins explosifs est toujours en augmentation.

Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a recensé 57 victimes en 2017, 221 en 2018, 352 en 2019 et 389 en 2020.

De nombreuses mines datent de la lutte contre la guérilla. Mais la Colombie connaît actuellement une résurgence de la violence essentiellement liée aux rivalités pour le contrôle du trafic de drogue et l'extraction minière illégale.

Au cours du premier semestre de cette année, 263 personnes ont déjà été tuées ou blessées par des mines ou autres engins explosifs improvisés (IED), dont 21 mineurs, selon le CICR.

Avec 86 victimes depuis le début de l'année, le département de Norte de Santander (nord-est), où vit Efrain Soto, est le deuxième plus touché après celui de Cauca (sud-ouest).

"Personne ne voudrait vivre dans une région comme ici, mais je n'ai nulle part ailleurs où aller", se lamente l'agriculteur devant sa maison en bois au toit de tôle.

Il dit avoir perdu tout espoir de connaître un jour son pays "en paix". Il n'est pas seul.

"Membre fantôme" 

En avril, alors qu'il abattait un arbre, Ivan Rodriguez a senti la "bombe", puis l'odeur de "la fumée et de la terre".

Il est resté "conscient" et "calme" pendant les trois heures qu'il lui a fallu pour arriver à l'hôpital, se souvient le jeune homme de 24 ans, qui a perdu son pied droit et a failli être amputé de son bras blessé.

Le "membre fantôme" lui fait souvent mal et le démange et il rêve d'une "prothèse pour pouvoir marcher" ou jouer au football.

Sa femme loue le courage avec lequel il surmonte les difficultés : "Au lieu que ça soit nous qui lui donnions de la force, c'est lui qui nous en donne", dit admirative Paola Acuña, 23 ans.

"On n'est plus le même, reconnaît Ivan Rodriguez, mais j'essaie de ne pas y penser, j'essaie d'avancer".

Avec 2.248 morts et plus de 8.000 blessés répertoriés entre 1999 et 2017, selon l'ONG The monitor, la Colombie est l'un des pays les plus touchés, derrière l'Afghanistan ou la Syrie, malgré l'interdiction totale des mines terrestres par les pays signataires de la Convention d'Ottawa en 1997.

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