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Des départs "définitifs", souvent sous le coup de la panique et payés au prix fort: depuis deux semaines, un flot record de résidents quittent Hong Kong, inquiets de la gestion de la crise sanitaire dans une ville en proie au chaos face au variant Omicron.
"On s'en va et on reviendra vider notre maison quand ça sera possible. On veut sortir nos enfants d'ici surtout. Après, on verra", témoigne à l'AFP Mathilde, depuis huit ans dans le centre financier. "Tous nos amis proches partent", dit-elle.
C'est le risque d'être séparée de ses trois enfants s'ils attrapent le coronavirus qui a précipité son départ. Des cas de jeunes enfants arrachés à leurs parents après avoir été testés positifs pour être placés à l'isolement, comme l'exige la règle à Hong Kong pour toute personne contaminée, ont en effet été signalés ces dernières semaines.
Depuis le début de la pandémie, la ville de 7,4 millions d'habitants, à l'image de la Chine continentale, applique une stricte politique "zéro-covid" grâce à laquelle elle n'a enregistré que 12.000 cas en deux ans. Mais depuis l'apparition d'Omicron en janvier, le nombre d'infections a explosé, avec désormais des dizaines de milliers de cas quotidiens.
Depuis quelques semaines, les hôpitaux sont saturés et les images de malades du Covid entassés sur des brancards en plein air devant les services d'urgence ont choqué les Hongkongais. Les morgues sont pleines et des milliers de patients asymptomatiques sont séparés de leurs proches et parqués dans des camps d'isolement.
Les restrictions liées à la pandémie ont été difficiles à supporter pour les travailleurs étrangers de Hong Kong, qui représentent environ 8% de la population.
Plus de 71.000 personnes, dont 63.000 résidents, ont quitté la ville en février, un record depuis le début de la pandémie, dont plus de 40.000 les deux dernières semaines.
"S'il y avait une feuille de route et que nous savions qu'il y a de la lumière au bout du tunnel, nous pourrions rester", explique Heiko, entrepreneur dans l'intelligence artificielle. "Comme ce n'est pas le cas, nous avons décidé de partir".
Sa cadette a récemment fêté son deuxième anniversaire. "Toute sa vie a été une suite de confinements, de séjours dans des hôtels de quarantaine, de terrains de jeux et de jardins d'enfants fermés. Elle n'a vu ses grands-parents qu'une fois", soupire l'Allemand.
Avant l'arrivée d'Omicron, résume Lucy Porter Jordan, sociologue à l'Université de Hong Kong, "vous aviez les restrictions mais aussi la sécurité. Si vous enlevez cela de l'équation, vous vous retrouvez avec cette sorte de parfaite tempête qui va probablement laisser une empreinte durable".
La plupart de ceux qui partent, ajoute-t-elle, sont des personnes avec des enfants et "des gens qui ont les moyens".
"Bataille pour les conteneurs"
Les entreprises mettent en garde contre la fuite des talents. L'Union européenne estime que 10% de ses ressortissants à Hong Kong sont partis depuis le début de la pandémie.
"Il est devenu très difficile d'attirer de l'argent, d'investir à long terme dans cet endroit", avoue Keith, un investisseur qui embarquait mercredi pour le Canada, et qui demande à ce que son prénom soit modifié.
Il dit être avant tout "inquiet pour la santé mentale" de ses deux filles de 12 et 13 ans. "Leurs années d'adolescence, elles ne les retrouveront pas".
Plusieurs compagnies aériennes ont observé des hausses de réservations au départ de Hong Kong récemment. "En moyenne, nous constatons une croissance à deux chiffres en une semaine sur nos réservations jusqu'en juillet", indique un porte-parole d'Emirates.
L'entreprise d'envoi de bagages à l'international SendMyBag a dit à l'AFP que les envois en provenance de Hong Kong "sont actuellement multipliés par quatre par rapport à la même période en 2021", tandis que les délais de livraison ont doublé par rapport à décembre entre Hong Kong et le Royaume Uni.
Heiko dit avoir payé l'année dernière environ 6.000 dollars américains pour faire venir ses meubles de Singapour par bateau, et s'être vu proposer au minimum 14.000 dollars pour les y renvoyer aujourd'hui. "Même foyer, même distance, juste la direction opposée", commente-t-il.
"Tout le monde cherche des billets pour partir, les gens se battent pour les conteneurs", raconte Lin, mère de deux grands enfants.
"Nous devons donner presque tous nos meubles gratuitement. Une amie qui part la semaine prochaine avait une BMW de trois ans, elle m'a dit: +je vais juste la donner à une association, personne ne l'achètera de toute façon+", lâche Lin, en route pour Dubaï après douze ans à Hong Kong.
L'exode actuel s'ajoute à une vague migratoire déjà en cours, suscitée parmi les résidents locaux par la répression de la dissidence à l'oeuvre depuis les manifestations pro-démocratie de 2019.
Entre juin 2020 et juin 2021, Hong Kong a connu sa plus forte baisse de population en 60 ans, et il y a peu de signes que cela change.
"Nous ne sommes qu'au début de cette vague", estime Chung Kim Wah, à la tête de l'Institut de recherche sur l'opinion publique de Hong Kong. "Beaucoup d'autres jeunes choisiront de partir, s'ils en ont la possibilité".