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Le voile, éternel sujet de crispation en France

De nouveau au cœur d'une polémique, le port du voile creuse depuis trente ans de profondes lignes de fracture qui puisent dans le rapport complexe de la France à la laïcité et à l'islam, selon des chercheurs.

La première controverse surgit en 1989, avec l'affaire de Creil (Oise): trois adolescentes sont exclues d'un collège pour port du voile, tandis que l'opinion se déchire entre défenseurs du droit à la scolarité et tenants d'une stricte laïcité.

"L'affaire de Creil a créé un cycle dont on n'est pas sorti, avec une focalisation sur le foulard", constate Ismaïl Ferhat, maître de conférence à l'Université Picardie, qui a coordonné l'ouvrage "Les foulards de la discorde".

"Toutefois, depuis, la cible s'est beaucoup élargie", ajoute-t-il, énumérant les débats à la crèche (l'affaire Baby-loup), sur le voile intégral, le burkini, les piscines municipales, les vêtements de sport et, tout récemment, sur les mères accompagnatrices de sorties scolaires.

Cette dernière polémique en date a été lancée la semaine dernière quand un élu du Rassemblement national (RN) a invectivé une mère voilée qui accompagnait une sortie scolaire au conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté.

Depuis l'affaire de Creil, deux lois ont certes été votées: une en 2004 qui interdit les signes religieux ostensibles à l'école; l'autre en 2010 qui bannit le voile intégral --quand seuls les yeux sont visibles-- dans l'espace public.

Mais la controverse ressurgit encore régulièrement. Selon M. Ferhat, l'affaire de Creil représentait la première fois qu'on mélangeait "aussi étroitement laïcité et droit des femmes" et a fait naître, chez certains, l'idée que ce vêtement "rendrait la femme inférieure".

Un argument auquel a recours Laurent Bouvet, professeur de sciences politiques et cofondateur controversé du Printemps républicain, partisan d'une ligne ferme en matière de laïcité: "Couvrir la femme pour ne pas susciter le désir de l'homme... Il y a un côté inégalitaire dans ce port de voile", affirme-t-il.

Selon lui, "depuis 30 ans, le voile est devenu beaucoup plus visible dans la société française et dans certains quartiers".

S'ajoute à cela le fait que "depuis la révolution iranienne (en 1979, NDLR), se développent des formes fondamentalistes de l'islam, pour lesquelles la visibilité de la religion est un élément essentiel". "Ces deux phénomènes ont rendu le foulard plus polémique en soi. Il a acquis une sorte de valeur politique", dit-il.

- En 1905, des débats sur la soutane -

Le sociologue et philosophe Raphaël Liogier estime, lui, que les significations du voile sont "très diverses selon les âges et selon les décennies". Et dénonce une "vision univoque, fondée sur une conception faussée de la laïcité, consistant à dire que les femmes voilées seraient soit aliénées, soit des terroristes potentielles".

"C'est cet écart entre les deux qui crée la polémique", selon l'auteur de "Manifeste métaphysique", qui défend la thèse qu'il s'agit avant tout d'une expression spirituelle.

L'historien Philippe Portier, de l'Ecole pratique des hautes études, plonge dans l'histoire de la France pour expliquer les polémiques à répétition sur le voile, notamment l'héritage de "la colonisation et la décolonisation" pendant lesquelles s'est installée "l'idée qu'il fallait contrôler le culte musulman".

Plus récemment, depuis la fin des années 1990, "à chaque fois qu'il y a un attentat, la classe politique et, corrélativement, l'opinion publique, connaissent une bouffée de volonté sécuritaire et d'affirmation identitaire", note-t-il.

On observe alors "une montée en puissance de l'usage du thème de la laïcité", utilisé "non pas au sens libéral" mais "comme un instrument de totale marginalisation du religieux".

L'historien de la laïcité Jean Baubérot, auteur de "La loi de 1905 n'aura pas lieu", souligne que l'opposition laïcité libérale/laïcité autoritaire existait déjà au moment des débats préalables à la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l'Etat. "La vision libérale d'Aristide Briand et de Jean Jaurès a triomphé".

Il rappelle aussi qu'avant le vote de ce texte emblématique, la question d'inclure l'interdiction du port de vêtements religieux avait été posée. Dans le collimateur à l'époque: la soutane.

Selon M. Baubérot, "les arguments avancés alors en faveur d'une interdiction présentent beaucoup d'analogie avec la période actuelle: +signification plus politique que religieuse+, +acte de prosélytisme+, +signe de soumission à la hiérarchie+". Mais ils n'avaient pas été retenus.

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