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"Assassins", "menteurs", "escrocs"... L'annonce de la fermeture de l'usine Michelin de La Roche-sur-Yon (Vendée), qui emploie 619 personnes, a suscité jeudi des cris, une bousculade, et l'"écœurement" des salariés concernés.
"Mon premier enfant va naître au mois de février, j'ai démarré le prêt de ma maison il y a quelques mois", a expliqué d'un ton inquiet Jérémy, 31 ans, à la sortie de la réunion où les salariés ont été fixés sur leur sort.
Comme beaucoup, il était entré chez Michelin attiré par l'espoir de la stabilité. "Il y a deux ans, j'étais content, je me disais +c'est bon, je vais pouvoir faire ma carrière ici+", se remémore-t-il.
A quelques pas, un salarié crie avec ironie "j'ai plus de travail et toi ?". Il s'adresse à Benoît Heubert, le directeur industriel de la branche poids lourds pour l'Europe. Pris dans une bousculade, le dirigeant essaye de dialoguer avec quelques salariés et représentants syndicaux mais les invectives fusent.
"Assassins", "escrocs", ont lancé certains avant de démarrer un feu de pneus et de palettes devant la grille de l'entrée du site spécialisé dans la fabrication de pneus poids lourds, fortement concurrencée par le marché asiatique.
"Tout le monde s'est engagé corps et âmes" pour préserver les emplois, a assuré M. Heubert aux journalistes, mais "l'usine n'a pas la capacité de faire face", a-t-il estimé.
"On nous disait qu'il fallait faire des efforts", a souligné Jérémy qui se sent "lésé" et redoute de rentrer chez lui partager avec sa compagne la nouvelle de la fermeture prévue d'ici fin 2020.
- Ancien "Conti" -
A côté de Jérémy, Vincent s'inquiète également de la réaction de son père qui a travaillé 42 ans dans l'usine et l'a incité à rejoindre les rangs de Michelin.
Il est soulagé aussi car "maintenant on est sûr, on va pouvoir avancer, Michelin s'est engagé à nous suivre", raconte le trentenaire qui espère se faire payer une formation pour travailler dans les espaces verts.
Le département de Vendée connaît le plein emploi donc Michelin "trouvera plus facilement une possibilité de reclasser ses salariés", a-t-il analysé. "Mais, une paye comme ça, on en retrouvera pas ailleurs dans la région."
Pour beaucoup, la proposition d'être muté dans une autre usine du groupe en France ne semble pas non plus intéressante.
Christophe, père de cinq enfants et ancien salarié de l'usine Continental, explique même qu'elle lui rappelle de difficiles souvenirs. Chez les "Conti", les licenciements ont représenté "300 divorces et 14 suicides", a-t-il assuré.
A 43 ans, il se dit "écœuré" que l'histoire se rejoue. A La Roche-sur-Yon "on nous a toujours dit qu'il fallait y croire, on nous a menti", regrette-t-il.
Un drapeau du syndicat Sud à la main, il explique que ses enfants "ont construit leur vie ici" et qu'il ne partira pas. Il espère que les négociations seront avantageuses. "Michelin est prêt à mettre beaucoup sur la table pour acheter une tranquillité médiatique", a-t-il assuré.
Sébastien, qui a été embauché à La Roche-sur-Yon il y a six ans, ne sait pas s'il acceptera de travailler dans un autre site du groupe. "Michelin ferme des usines tous les deux, trois ans", alors il redoute "de revivre la même chose ailleurs".
Dans son bureau, où il a mené la lutte syndicale pendant de longs mois, le représentant CGT Antony Guilloteau regrette que le patron de Michelin, Florent Menegaux, n'ait "pas eu le courage" de venir annoncer la fermeture de l'usine en personne.
En marge du rassemblement devant les grilles, deux femmes observent et filment avec leur téléphone. Venues de l'étranger, Michelin a payé leur déménagement en Vendée pour que leurs maris viennent travailler sur le site il y a un an et demi et maintenant l'avenir s'assombrit.
"Je me plais beaucoup ici, j'aime le mode de vie et les gens", mais retrouver un emploi après Michelin sera difficile "à cause de la barrière de la langue".