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Attendre une embellie de l'emploi ou lever le camp: voici le dilemme qu'affrontent les ouvriers de l'industrie pétrolière à Carlsbad, dans le sud-ouest des Etats-Unis, où la chute brutale des cours a porté un coup à l'économie locale.
Beaucoup de travailleurs ont déjà déserté les aires d'accueil où ils avaient garé leurs camping-cars, attirés par les salaires élevés.
Dans cette ville poussiéreuse du Bassin permien, le plus grand gisement de pétrole de la planète, à cheval entre le Texas et le Nouveau-Mexique, un ouvrier peut gagner 100.000 voire 150.000 dollars par an.
- Réduction des salaires -
"J'ai dit à ma femme: +Je suis déçu de ne pas pouvoir travailler, mais je suis impatient de rentrer à la maison et de vous voir+", raconte Clenon Weaver, un homme brun souriant assis sur une chaise à l'ombre de sa caravane.
L'inspecteur en soudage, 34 ans, compte prendre quelques semaines pour profiter de sa femme, de ses fillettes et de son nouveau-né, qui vivent dans la région de Houston (Texas), à dix heures de route. Ensuite, il cherchera du travail.
A Carlsbad, bon nombre d'ouvriers travaillent à l'extraction du pétrole, au forage des puits ou à la construction des oléoducs.
Comme Clenon Weaver, ils vivent dans les "man camps" en périphérie de la ville. Dans une région où les prix de l'immobilier ont flambé à cause du boum du pétrole ces dix dernières années, ils payent entre 600 et 900 dollars par mois pour un emplacement où garer leur camping-car et leur pick-up.
Beaucoup de ces ouvriers du pétrole, aussi appelés "rough-necks", ("brutes" en anglais, à cause de leur travail manuel pénible) ont perdu leur emploi ces dernières semaines.
Le 20 avril, les cours du baril de pétrole américain sont même tombés sous la barre de zéro en raison de la saturation des stocks et de l'effondrement de la demande lié à la pandémie.
Le bassin permien comptait cette semaine moins de la moitié du nombre de plateformes pétrolières en activité l'an dernier.
Assis sur une chaise pliante devant sa caravane, Benjamin Loreto s'estime chanceux d'avoir conservé son emploi. Le contremaître âgé de 48 ans gagne néanmoins cinq dollars de moins par heure que d'habitude, et il est passé de 80 à 40 heures par semaine.
"Beaucoup de gens n'ont pas de travail. Ils sont là, mais ils ne travaillent pas. Ils traînent juste dans le coin, pour voir si quelque chose se passe", remarque-t-il, son enceinte diffusant les Guns N Roses au loin.
La région n'est pas facile à vivre, mais le pétrole peut rapporter gros. Jace Gentry, 21 ans, n'est pas fâché de rentrer dans sa Louisiane natale à la suite de son licenciement.
Ici, "il y a du sable et de la poussière, on ne peut pas prendre une bouffée d'air frais", râle-t-il. Et pourtant, "rien ne vaut l'argent" qu'on gagne à Carlsbad, surtout quand on n'a pas de diplôme, s'extasie-t-il. "Les gens toléreraient de vivre n'importe où pour gagner ça", assure-t-il en caressant son chiot, un genou au sol.
La ville de Carlsbad en a vu d'autres. Beaucoup se souviennent de 2016, quand le baril était passé sous la barre des 30 dollars. Au pays de l'or noir, les chutes de prix sont courantes. Mais les plus jeunes vivent le contrecoup pour la première fois.
- Le pétrole, "on en dépend" -
Amber, qui préfère ne pas donner son nom de famille, a quitté son domicile familial l'an dernier.
Employée dans un supermarché, elle vit désormais dans un camping-car avec son petit ami, qui travaille dans le pétrole. Tous deux ont 20 ans et s'inquiètent de la situation. Le pétrole, "on en dépend", assure-t-elle. "C'est notre vie, donc si le cours chute, on sera coincés".
Pour certaines entreprises, la survie n'est possible que grâce au plan d'aide aux PME de l'administration Trump. Sans commandes des producteurs de pétrole, certains puits ayant fermé, "nous n'avons plus rien à construire", explique Michael Bassett, responsable des opérations dans une entreprise de construction pétrolière.
Pour pallier le désoeuvrement, son patron a demandé à ses soudeurs de construire des grilles de barbecue en attendant des projets de plus grande envergure.
"Jusqu'à il y a peu, ici, c'était une bonne ville pour se remettre sur pied" si on avait "tout perdu", se souvient Michael Garner, gérant d'une aire d'accueil pour camping-cars, qui a vécu presque toute sa vie à Carlsbad.
Sur les 120 emplacements que compte son camping, d'habitude complet, 30 se sont libérés depuis la chute des prix du pétrole.
Dans cette ville pétrolière du sud-est du Nouveau-Mexique où le chômage tournait autour de 3% en 2018, on sait que l'or noir peut se transformer en plomb à tout moment.
Le gérant du "man camp" se veut philosophe: "Quiconque est dans le pétrole depuis longtemps sait que (les cours) montent et descendent, ça monte progressivement et ça retombe comme une pierre", décrit-il, résilient. "Ça apprend à faire des économies".