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"La poésie est une arme de construction massive": avec le spectacle "Black Label", présenté pour la première fois au Théâtre du Nord à Lille, le rappeur et comédien JoeyStarr dénonce le racisme, le colonialisme et les violences policières à travers poèmes et écrits d'hier et d'aujourd'hui.
Tout en noir sur un grand plateau vide, le chanteur de NTM, clame, avec sa voix de stentor, le poème "Black Label" du poète guyanais Léon-Gontran Damas (1912-1978), grand nom de la négritude, mouvement pour la défense des valeurs culturelles du monde noir.
Au pupitre, il lance : "Qu’attendons-nous, les gueux, les peu, les rien, les chiens, les maigres, les nègres, pour jouer aux fous, pisser un coup, tout à l'envi, contre la vie, stupide et bête, qui nous est faite ?"
Dans ce spectacle transdisciplinaire, conçu et mis en scène avec le directeur du Théâtre du Nord David Bobée, le rappeur est accompagné sur scène par la musicienne et chanteuse jazz Sélène Saint-Aimé, le chanteur et danseur Nicolas Moumbounou et le chansigneur Jules Turlet, qui traduit au public les textes en langue des signes.
Derrière eux, des images d'archives des grands mouvements de l'histoire contre le racisme: droits civiques et Black Lives Matter aux Etats-Unis, mai 67 en Guadeloupe, mouvement de la négritude formé à Paris ou encore des images d'actualité, comme ces bateaux de migrants surchargés.
- Affres du colonialisme -
Sur scène, pendant deux heures, les artistes récitent, chantent, dansent les grands poèmes de Sonny Rupaire, Lyonel Trouillot, Gérald Bloncourt... mais aussi des extraits d'une interview de Malcolm X, un texte de JoeyStarr ou encore la "Lettre à Adama" d'Assa Traoré, figure du combat contre les violences policières depuis la mort de son frère en 2016 lors d'une interpellation.
Les textes choisis dénoncent "toutes les formes de ségrégation, de stigmatisation, les affres du colonialisme et ce que cela a provoqué comme blessures indélébiles sur la conscience des afro-descendants", explique Didier Boudet, conseiller littéraire du spectacle.
On retrace "une histoire des violences raciales et en parallèle une histoire de la dignité et de la lutte pour l’égalité", résume David Bobée.
"Nous sommes sur quelque chose que je n’avais pas complètement réussi à faire passer avec le rap. Mes deux parents sont Martiniquais, toute cette histoire, toute cette culture, me porte à mort. C’est une continuité, je fais partie du tissu social de tout ce qu’on a livré ce soir", témoigne JoeyStarr, de son vrai nom Didier Morville, à l'issue du spectacle.
- Guichets fermés -
Pour David Bobée, "il est facile de se dire : +A l’époque, j’aurais été décolonial+". Mais aujourd’hui, le racisme "est à l'oeuvre", alors "comment on se comporte ? C’est une vraie question surtout avec la menace d'une arrivée du Rassemblement national aux plus hautes sphères du pouvoir".
Avec ces références littéraires, "on se donne des outils pour résister à des idéologies mortifères qui nous sortent du champ démocratique", poursuit le metteur en scène. "Quelque chose nous oblige à savoir résister à cette sordide condamnation, à vivre au milieu du racisme et à fermer les yeux sur ceux qui en souffrent."
Sur scène, JoeyStarr "fait venir du monde qui ne va pas habituellement au théâtre. Ces jeunes, on leur raconte leur histoire", estime M. Bobée, qui a engagé le Théâtre du Nord contre les discriminations depuis son arrivée en 2021.
"C’est important d’avoir une lecture du passé pour entreprendre la mécanique du futur", relève le rappeur, Didier Morville.
Le spectacle, joué toute la semaine à guichets fermés à Lille, est programmé à Rennes en avril. D'autres dates doivent prochainement être annoncées.