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Sous un grand soleil et applaudies par des dizaines de spectatrices, des femmes dansent pour célébrer Norouz, l'arrivée du printemps, au Kirghizstan. Une scène qui aurait été conviviale, sans la présence d'un mirador et de barbelés.
Car ces danseuses se déhanchant en talons aiguilles sont toutes des détenues incarcérées dans la seule prison pour femmes de ce pays montagneux d'Asie centrale.
Condamnées pour homicide, trafic de drogue ou vol, bien que beaucoup clament leur innocence, ces prisonnières de 17 à 70 ans profitent d'un moment de répit à l'occasion de cette fête ancestrale d'origine persane commune à plusieurs pays musulmans, de l'Asie aux Balkans.
"On essaie de leur remonter le moral, de faire en sorte qu'elles se sentent comme des femmes en liberté et non plus des détenues", explique à l'AFP Zamira Bekmourzaeva, l'une des responsables de la prison.
Sur un carré d'herbe sous le regard amusé de gardiennes, les spectacles se succèdent. Les danses laissant place à une compétition de lutte, un sport populaire au Kirghizstan.
Les tubes populaires crachés par des haut-parleurs sont alors recouverts par les cris et les encouragements quand deux prisonnières s'affrontent, chacune tentant de projeter l'autre au sol sur la couverture faisant office de tatami improvisé.
- "Impression de liberté" -
Dans cette colonie pénitentiaire bâtie il y a plus de soixante ans, à l'époque où le Kirghizstan faisait partie de l'Union soviétique, les conditions de vie sont cependant sommaires.
L'eau courante est absente dans les cellules, tout comme les téléviseurs. Les douches et les toilettes sont à l'extérieur.
Située dans le village de Stepnoe, non loin de la capitale kirghize Bichkek, cette prison accueille quelque 200 femmes, un chiffre en constante diminution, selon Mme Bekmourzaeva.
"A l'occasion de différentes fêtes, comme la journée des femmes et le Nouvel An, on organise des évènements. On essaie de faire oublier aux détenues, au moins un jour, qu'elles sont en prison, pour qu'elles aient l'impression d'être en liberté", espère-t-elle.
La véritable liberté, Natacha, une détenue âgée de 65 ans, pourra à nouveau y goûter dans un an et sept mois, après déjà dix années passées derrière les barreaux pour détention d'héroïne.
"Quand je dansais, j'étais heureuse. J'essaie de ne pas me décourager, je pense à mes enfants et à mes petits-enfants qui m'attendent à la maison, où on fêtait aussi Norouz", se souvient-elle.
- "Entre ces murs" -
Mais derrière ces rires, la peine et les difficultés du quotidien carcéral ne tardent pas à refaire surface. Aliona, l'une des meilleures danseuses de la matinée, a retiré ses talons aiguilles rouges pour remettre sa paire de baskets.
Si elle apprécie d'avoir dansé, cela reste "un jour comme un autre" pour cette citoyenne russe âgée d'une trentaine d'années elle aussi condamnée pour trafic de stupéfiants, ce qu'elle réfute.
"Cela m'affecte beaucoup, car je ne peux pas passer cette journée avec les gens avec qui j’aimerais être", regrette Aliona, qui s'apprête à donner le biberon à son fils d'un an et demi, né au début de son incarcération et qui vit avec elle en prison.
Si Aliona dit être "aidée par l'administration pénitentiaire" et avoir des "conditions favorables" pour son fils, cela reste "très dur".
"J'ai même déjà pensé à l'abandonner, car je craignais de l'emmener en prison : comment allait-il vivre, qu'allait-il manger, quels vêtements allait-il porter, comment se comporteraient les autres détenues ?", se demandait-elle alors.
Les larmes aux yeux, la jeune femme poursuit : "Mon fils a peur des gens, il ne voit personne, il est simplement entre ces murs (...) Il n'a jamais vu de sa vie une voiture".
N'ayant aucun proche à qui confier son enfant, Aliona "regrette qu'on n'accorde pas de report de peines" et dit avoir "vu des mères en pleurs devoir donner leurs enfants, parfois aux orphelinats".
Si tout se passe bien, l'an prochain, Aliona et son fils pourront fêter l'arrivée du printemps en liberté.