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Le cinéaste Dominik Moll, qui a remporté vendredi le César de la meilleure réalisation pour "La nuit du 12", excelle dans les histoires réalistes à l'inquiétante étrangeté.
Révélé il y a 23 ans par "Harry, un ami qui vous veut du bien" (4 César en 2001), ce grand amateur d'Hitchcock, qui a connu une carrière en dents de scie, continue d'appliquer l'une des règles d'or de la fiction: les choses ne sont pas toujours ce qu'elles semblent être.
"La nuit du 12" - son septième long-métrage - ne déroge pas à la règle: le film déroule une enquête sans résolution sur un féminicide à Saint-Jean-de-Maurienne dans les Alpes. Mais derrière cette enquête qui vire à l'obsession pour deux policiers de Grenoble, ce sont les rapports hommes-femmes qui sont interrogés.
"Je suis peut être fou, confie l'un des deux policiers dans le film, mais j'ai la conviction que si on ne trouve pas l'assassin, c'est parce que ce sont tous les hommes qui ont tué Clara. C'est quelque chose qui cloche entre les hommes et les femmes".
C'est ce "quelque chose" que tente de saisir Dominik Moll (et son co-scénariste Gilles Marchand) dans un film sans suspens et pourtant haletant: ces forces secrètes, des rapports de pouvoir souterrains qui font basculer les hommes dans la folie.
"Mon cinéma traite souvent de la même problématique, "le rationnel versus irrationnel", "ce qui se cache sous la surface des choses", confiait-il à France Culture.
A l'image de ce rongeur retrouvé dans une tuyauterie qui bouleverse la vie bien rangée d'un ingénieur en domotique dans "Lemming" (2005). Un évier bouché et l'équilibre apparent de son couple est pulvérisé. Le film s'engage aux confins du fantastique à mesure que chacun découvre la glaçante altérité.
- Le choc des "Oiseaux" -
Domini"k" avec un K - orthographe héritée de son père, un professeur allemand de français marié à une professeure française d'allemand - est né le 7 mai 1962 à Bühl (sud de l'Allemagne).
Il grandit à Baden-Baden, en lisière de la Forêt Noire. Dans cette fratrie de quatre enfants, trois deviendront enseignants.
Son père réalise des films en Super 8. Enfant, il dévore Chaplin, Buster Keaton. Sa première vision des "Oiseaux" d'Hitchcock est un "choc". "Le fait qu'il n'y ait ni résolution ni explication sur l'attaque des oiseaux, c'était très gonflé pour un film en 1961".
En découvrant les entretiens entre Hitchcock et Truffaut, "le cinéma devient une activité concrète et pratique: le travail sur le son, les gros plans ... Toutes ces choses qui vont servir la narration, l'identification des personnages: si c'est ça, ça m'intéresse beaucoup et je me dis que je peux y arriver", confie-t-il à France Culture.
Diplômé de littérature française et anglaise à Heidelberg, il s'envole vers New York pour y suivre deux ans de cours de cinéma. Puis il intègre l'Idhec où il rencontre Gilles Marchand, son scénariste. Ensemble, ils troussent une histoire inspirée de "son expérience de père".
Ce sera "Harry, un ami qui vous veut du bien", son deuxième long-métrage. Un vieux copain d'enfance ressurgit par hasard dans la vie d'un jeune père frustré, et c'est toute sa vie qui bascule dans la psychose: deux millions de spectateurs, une sélection à Cannes, un box-office américain, quatre César ....
"Lemming" (2005) rencontre moins de succès. "Le Moine" (2011), l'histoire d'un moine vaincu par les ténèbres, est un échec. "Des nouvelles de la planète Mars" fait un flop.
En 2013, il signe deux bons thrillers en séries "Tunnel" et "Eden", puis découvre le roman de Colin Niel "Seules les bêtes" (2019).
Avec ce "puzzle à assembler dans la salle", Moll, grand amateur de documentaires animaliers, renoue avec son talent de chef d'orchestre: dans ce polar, le cadavre d'une Parisienne retrouvé dans les plaines glaciales des Causses, fait surgir une myriades d'histoires.
Tout le contraire de cet homme, un géant au rire franc et à la nonchalance naturelle à qui l'on ne connaît qu'un étrange penchant pour les reptiles et les batraciens.