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Sous terre, dans le noir, des pelleteuses zigzaguent, chargées de sable. Elles achèveront d'ici la fin avril le comblement partiel, pour raisons de sécurité, d'une ancienne carrière de craie à Meudon (Hauts-de-Seine), un "crève-coeur" pour les défenseurs de ce site classé.
Depuis septembre, de longues rampes roulantes acheminent des terres de remblai de l'entrée jusqu'au fond de la carrière. Dans un brouhaha de chantier, les pelleteuses tassent le sable dans les couloirs à combler.
Creusée il y a un siècle et demi dans les entrailles de la colline Rodin, sur les hauteurs de la commune, la crayère Arnaudet a été exploitée entre 1870 et 1923 pour l'extraction du "blanc de Meudon", avant d'être transformée en champignonnière, puis fermée au public au moment de son classement en site d’intérêt artistique et scientifique, en 1986.
Dans le vaste dédale, les murs sont gris à la surface, blancs quand on les gratte.
Hautes de huit mètres par endroit, certaines galeries sont surmontées de voutes sur croisées d'ogive, qui leur donnent des airs de cathédrale romane.
Les travaux engagés par la municipalité doivent combler 45% des huit kilomètres de la crayère.
D'après l'étude de l'Inéris (Institut national de l'environnement industriel et des risques) sur laquelle s'appuie la mairie, la carrière Arnaudet risquait avant les travaux un "effondrement généralisé" dû à l'"extrême fragilité des piliers".
- Modélisation -
"C'était un risque pour la sécurité des personnes et des biens alentour. On se souvient du drame de Clamart", en 1961, quand une carrière s'était effondrée entrainant la mort de 21 personnes, a affirmé à l'AFP Serge Ouadhi, responsable de la prévention des risques à la mairie de Meudon.
Après les travaux, "le prochain objectif sera d'ouvrir les carrières au public, au moins en partie", ajoute-il.
En face, les opposants au comblement remettent en cause l'expertise de l'Inéris, menée par modélisation numérique 3D avec selon eux des "paramètres défavorables". Ils voient dans les travaux l'opportunité pour la ville de "consolider pour développer des projets immobiliers" en surface.
"Cela fait 40 ans que la ville veut urbaniser la colline Rodin. Aujourd'hui, ils comblent la carrière et un projet immobilier voit le jour à côté. C'est un crève-coeur", regrette Magdaleyna Labbé, coordinatrice du "collectif Arnaudet", qui rassemble associations de riverains, de défense du patrimoine et de l'environnement, avec le soutien d'universitaires et de l'animateur Stéphane Bern.
Pour le géologue Jean-Pierre Gély, défenseur du site, la carrière Arnaudet est "stable depuis toujours" du fait de sa structure rocheuse. "Et quand bien même il y avait un risque, pourquoi avoir choisi la méthode la plus invasive plutôt qu'un renforcement des piliers, qui aurait mieux préservé le site ?", interroge-t-il.
"Il n'y a absolument aucune construction prévue ni programmée sur la zone des carrières classées", répond le maire UDI de Meudon, Denis Larghero, qui défend un "projet de sécurisation en vue d'une valorisation".
Au-dessus des galeries souterraines, la municipalité prévoit un "espace de nature" dans le prolongement du jardin du musée Rodin, voisin.
Un appel à projet immobilier a été lancé en juillet 2022 sur des parcelles jouxtant le futur parc, avec vue plongeante sur la capitale.
- Conseil d'Etat -
Quant au choix du comblement - quelques passages ont plutôt été renforcés à l'aide d'arches métalliques - Denis Larghero assure qu'il ne s'agit pas que d'une "question d'argent", comme l'affirment les opposants, mais de "solidité et de pérennité dans le temps".
En 2019, le ministère de la Transition écologique avait approuvé la méthode du comblement par une autorisation spéciale de travaux. Elle avait été annulée l'année suivante par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, contredit par la suite par la cour d'appel de Versailles puis le Conseil d'Etat.
"Le Conseil d'Etat a confirmé le bien-fondé de cette autorisation spéciale afin d'écarter tout risque pour la sécurité publique tout en assurant la préservation du reste de la carrière et des points d'intérêt identifiés", souligne la préfecture des Hauts-de-Seine.
A un mois de la fin des travaux, Magdaleyna Labbé dit rester "vigilante" sur la "suite des événements". "Le comblement, c'est fini, c'est perdu. Mais les transformations alentour et l'ouverture au public, on garde l'oeil dessus", affirme cette riveraine.
Devant l'entrée du site, la montagne de sable aura bientôt disparu dans l'obscurité des galeries.