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Sous les ors d'une prestigieuse salle viennoise, c'est un concert un peu spécial qui se déroule: fragilisés par la vieillesse, parfois atteints de démence, les auditeurs n'ont ici rien à craindre du regard des autres.
"Souvenir", ce concept unique en Autriche, a été inauguré en octobre pour qu'ils "se sentent bienvenus, dans un endroit où tout est permis", explique Stephan Pauly, directeur de l'institution Musikverein.
Loin du protocole guindé du fameux Concert du Nouvel an, quelques dizaines de personnes prennent place dans une petite salle adjacente, aux rangées espacées pour faciliter les déplacements.
En fauteuil roulant, accompagnés de leurs proches ou du personnel de maisons de retraite, ils peuvent renouer sans stress avec le plaisir perdu des concerts.
Dès le début, le ton est donné: la modératrice Veronika Mandl leur signale qu'ils peuvent se déplacer à leur guise, quitter le lieu à tout moment, se lever pour aller aux toilettes...
Sur scène, un trio de jeunes musiciens polonais et au programme, des oeuvres de Schubert ou Brahms accompagnées d'anecdotes sur la vie des compositeurs et de chants de Noël volontiers repris par l'assistance.
L'émotion affleure, les têtes grisonnantes cherchent refuge sur l'épaule voisine, l'atmosphère intimiste invite aux gestes tendres.
- "Ouvrir des portes" -
"Je fais beaucoup de recherches" pour savoir "ce qui s'est passé dans la jeunesse des gens qui viennent au concert" et concocter un menu sur mesure, souligne Mme Mandl, spécialisée dans la pédagogie musicale et également clown à l'hôpital.
"Même à un stade avancé (de la maladie), ces personnes sont réceptives à la musique" qui, à l'inverse d'autres émotions, a la capacité de pénétrer "dans différentes zones du cerveau", explique-t-elle, en écho aux conclusions des experts.
"La musique peut vraiment ouvrir des portes", d'autant plus dans le cadre d'un vrai concert, et non "dans un contexte thérapeutique".
Dans le public, Andreas Trubel, qui présente des troubles neurocognitifs, en est à son troisième concert "Souvenir".
Vêtu d'un simple jean, il dit aimer "le style décontracté", la durée pas trop longue (une heure environ), la proximité avec les artistes.
"Les gens peuvent se laisser emporter, ils peuvent danser, chanter, ce qui permet de ressentir la musique beaucoup plus intensément", confie cet ancien développeur informatique de 67 ans, aujourd'hui co-responsable de l'association Promenz pour "les gens qui oublient".
L'ensemble des protagonistes ont suivi une formation pour savoir comment réagir en cas de situations inhabituelles, comme cette fois où une spectatrice ne cessait de marmonner. Avec délicatesse, on l'a guidée vers une place un peu plus loin.
Face à "l'immense succès", Stephan Pauly a d'ores et déjà décidé de renouveler l'expérience l'an prochain. "C'est une toute petite partie des 800 concerts que nous produisons chaque année", souligne-t-il, mais une des plus "belles et importantes pour nous".
Iris Krall-Radulian, une aide-soignante par ailleurs musicienne de formation, ne le contredira pas, après avoir vu la joie des pensionnaires qu'elle a accompagnés au Musikverein.
"Ils avaient l'habitude d'assister à des concerts quand ils étaient en forme et c'est extrêmement précieux pour eux" d'en avoir de nouveau l'occasion, dit-elle. "L'impact est énorme, ils se sentent heureux, vivants".