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Le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) veut poursuivre les "crimes environnementaux" sans modifier le statut de ce tribunal, car les dégâts environnementaux sont souvent la cause ou la conséquence de crimes de guerre ou contre l'humanité que la CPI peut déjà juger, a annoncé Karim Khan mercredi dans un entretien à l'AFP.
"Attaquer une centrale nucléaire, un barrage, utiliser des produits chimiques, par exemple, pour financer un conflit" par l'extraction de minerais précieux, "tout cela peut être des méthodes par lesquelles des dommages environnementaux sont causés dans un contexte de commission de génocide, de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité, voire de crimes d'agression", a déclaré le procureur, listant les quatre infractions déjà couvertes par la CPI - qui siège à La Haye - selon le statut de Rome, son texte fondateur.
Dans cette perspective, des destructions ou des pollutions massives de l'environnement pourraient ainsi suffire à fonder des poursuites pour crimes de guerre, également constitués par exemple par des viols de masse. Ces atteintes, parfois qualifiées d'écocides, pourraient aussi documenter des crimes contre l'humanité, tout comme déjà la déportation d'enfants, au cœur de l'enquête de la CPI qui a justifié un mandat d'arrêt contre le président russe Vladimir Poutine.
Les bureaux de M. Khan préparent un document de politique générale, qu'il entend promulguer en décembre, et qui doit fixer le cadre juridique pour la prise en compte de ces crimes environnementaux sans avoir à ajouter un cinquième crime à ceux listés par le statut de Rome qui a débouché sur la création de la CPI en 2002.
"Nous essayons de voir, de manière plus précise et plus effective, comment les crimes environnementaux sont déjà inclus dans le statut de Rome", a expliqué le procureur.
"Si le statut de Rome se concentre avant tout sur les crimes contres les individus ou les objets protégés comme les églises, les mosquées, les synagogues ou le patrimoine de l'Unesco, nous devons élargir notre horizon au cours de ces conflits: l'environnement est très souvent ciblé et très souvent la lutte pour les ressources sur l'environnement est un moteur de conflits", souligne M. Khan, interrogé sur le fait de savoir si des bombardements massifs en Ukraine ou à Gaza étaient susceptibles de rentrer dans la définition des crimes environnementaux.
"Regardez le Darfour", poursuit le procureur, de retour de la région: "la pénurie d'eau et les sécheresses, (...) a également déclenché de l'animosité" dans cette région, en pleine désertification depuis plus de 50 ans, alimentée par le réchauffement climatique.
"Très souvent, le conflit peut prendre la forme d'une offre commerciale pour obtenir des terres rares, des diamants de conflits, de l'or, du bois et du bois d'œuvre. Dans ce contexte, l'environnement subit des dommages considérables", raconte encore le magistrat britannique.
- Déforestation, pollutions chimiques -
Karim Khan cite encore "l'usage du cyanure" et du "mercure pour extraire" les minerais précieux: "des écosystèmes entiers sont dégradés, voire détruits, des rivières pleines de vie, de plantes sauvages et de poissons deviennent des friches où règnent la mort et le désespoir".
"C'est la première fois dans l'histoire de la Cour pénale internationale que nous disposons d'un document d'orientation sur les formes que peuvent prendre les crimes contre l'environnement, dans le cadre de notre mandat actuel", s'est-il félicité.
Sa prédécesseure Fatou Bensouda avait déjà annoncé en 2016 que la CPI mettrait l'accent sur les "ravages écologiques, l’exploitation illicite de ressources naturelles ou l’expropriation illicite de terrains", un avertissement aux hommes d'affaires et aux politiciens qui n'a pas été suivi d'effets visibles.
"Une idée en tant que promesse ou espoir est très différente d'une politique réfléchie", s'est justifié M. Khan pour défendre son initiative.
"Le droit a le pouvoir immense de façonner le monde qui nous entoure" et les "discussions sur le climat et la nature" dans les tribunaux sont "un signal clair" que "nous sommes confrontés à l'une des plus grandes crises de notre génération", a réagi auprès de l'AFP Pierre Cannet, de l'ONG ClientEarth.
En 2021, au moins deux dossiers pour "crimes contre l'humanité" ont été déposés à la CPI contre le président brésilien Jair Bolsonaro pour son rôle dans la déforestation amazonienne. Rien n'a filtré depuis.
"C'est aujourd'hui le début d'un processus de préconisation qui, la semaine prochaine, invitera les Etats, les entreprises, les acteurs et la société civile à nous dire ce qu'ils pensent devoir voir figurer dans ce document d'orientation" dont une première version est attendue en avril avant une promulgation en décembre, détaille M. Khan.
Il s'exprimait en marge d'une réunion inédite d'une centaine de procureurs ou de juges de cours suprêmes ou régionales venus débattre au Conseil constitutionnel à Paris de la prise en compte des générations futures dans l'essor international de la justice environnementale.