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Quatre ans après le meurtre de la journaliste Daphne Caruana Galizia à Malte, sa famille continue de se battre contre la corruption endémique qu'elle avait mise au jour.
"Il n'y a toujours pas assez de mesures dissuasives contre le crime organisé et la corruption", déplore auprès de l'AFP Matthew Caruana Galizia, avant les élections législatives de samedi pour lesquelles le gouvernement travailliste sortant est donné favori.
Sept hommes ont été accusés ou ont reconnu leur complicité dans l'assassinat de sa mère, mais il craint que "l'absence d'une seule condamnation pour corruption" ait un impact durable. "Cela envoie le message que la corruption est acceptable tant qu'on peut s'en sortir", regrette-t-il.
L'homme de 36 ans s'exprime depuis la maison familiale près de Bidnija, près du lieu où la voiture de sa mère a explosé, le 16 octobre 2017, un meurtre qui a choqué l'archipel méditerranéen et le reste du monde. Une photo d'elle est visible au bord de la route, et des rubans violets sont attachés aux branches d'un arbre voisin.
Avant sa mort, elle avait été harcelée pour ses révélations sur les liens entre des membres du gouvernement du Premier ministre travailliste Joseph Muscat et des hommes d'affaires maltais.
Selon une enquête publique menée en 2021, l'implication de l'Etat dans cet assassinat n'a pas été prouvée mais le drame a créé un "climat d'impunité" pour ceux qui voulaient la faire taire.
- Changements juridiques -
M. Muscat a démissionné en janvier 2020, soupçonné d'avoir tenté de protéger ses proches dans cette enquête. Il a été remplacé par son collègue travailliste Robert Abela, grand favori au scrutin de samedi, qui a pris des mesures pour consolider l'Etat de droit et mieux protéger les journalistes, notamment en renforçant l'indépendance des juges et de la police.
Mais M. Caruana Galizia estime cela insuffisant. L'enquête représente "une occasion unique" pour "un avenir sans corruption, qui changerait Malte une fois pour toutes". Mais pour lui, une "réforme en profondeur" est nécessaire.
L'enquête a révélé l'existence d'un "plan orchestré" au sommet du gouvernement pour étouffer les enquêtes de Daphne Caruana Galizia, et a condamné l'incapacité des institutions à protéger son travail.
Le gouvernement a également proposé des modifications juridiques aux poursuites stratégiques contre l'action publique (SLAPP), des procédures judiciaires coûteuses et sans fondement utilisées pour faire taire les journalistes.
Matthew Caruana Galizia a salué ces mesures, mais se dit "déçu" que M. Abela ait "rejeté d'emblée la législation anti-mafia et anti-abus de pouvoir".
Il met en garde contre la politisation des médias maltais, les principaux partis possédant des chaînes de télévision et des stations de radio qui "étranglent les médias indépendants".
Selon lui, le fait que M. Abela refuse d'accorder des interviews n'inspire guère confiance sur sa volonté de protéger la liberté de la presse.
- Passeports dorés -
Si la campagne électorale a été dominée par la gestion de l'économie et de la pandémie par les travaillistes, les bougies allumées au mémorial de Daphne, devant le palais de justice de la capitale La Valette, rappellent que la corruption est toujours dans les esprits.
Le parti d'opposition nationaliste a insisté sur le problème, en soulignant notamment le placement sur liste grise de Malte en 2021 par un organisme de lutte contre le blanchiment d'argent.
L'invasion de l'Ukraine par la Russie a aussi mis en lumière le "programme de passeports dorés" de Malte, qui offre la citoyenneté aux riches investisseurs. Sous pression, le gouvernement a suspendu cette possibilité pour les citoyens de Russie et Biélorussie.
Mais pour M. Caruana Galizia, "le système doit être supprimé dans son intégralité".
La Chambre de commerce de Malte rejette toute suggestion selon laquelle le pays est largement corrompu. Mais Matthew Caruana Galizia affirme que le problème est "général" et que rien ne changera tant que le parti travailliste ne reconnaîtra pas son ampleur.
"Le cœur du parti travailliste doit être changé", estime-t-il, assurant que sa famille continuera à se battre. "Ma principale préoccupation n'est pas la vengeance, c'est l'effet dissuasif. Nous voulons être sûrs que cela ne se reproduira plus jamais, pas seulement le meurtre de ma mère mais aussi la corruption qui l'a précédé".
Contacté, le gouvernement maltais n'a pas donné suite aux sollicitations de l'AFP.