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Tshepo Mohlala était la risée de son township sud-africain quand adolescent, il a porté, avant tout le monde, des jeans super étroits. A 32 ans, l'entrepreneur tendance savoure sa revanche et "porte sa couronne", avec le succès de sa marque de luxe, plébiscitée par Beyoncé ou Meghan Markle.
"Le township n'était pas prêt pour mon sens de la mode", plaisante cet homme élancé et élégant, cheveux ras, barbichette et large sourire, qui a grandi près de Johannesburg.
Dès le lancement de sa marque en 2015, le créateur se concentre sur le corps des femmes africaines, mal servies par les marques occidentales.
Ici, "beaucoup de femmes ont la taille fine, des fesses et des hanches marquées. Elles ont du mal à trouver une paire de jeans parfaitement adaptée", confie-t-il. C'est ce constat qui l'a mis sur la piste du sur-mesure, idéal pour mettre en valeur "votre corps, votre style et votre confort".
Au fond de son "atelier" aux larges fenêtres et haut de plafond, une dizaine de petites mains affairées et tout un mur de patrons en papier craft. Ici, on crée du jean personnalisé pour l'équivalent de 350 euros, une petite fortune en Afrique du Sud.
Son denim est fabriqué à partir d'un coton résistant produit au Zimbabwe voisin puis envoyé au Japon, passé maître en tissage de denim, et enfin coupé et assemblé à Johannesburg.
Différentes qualités mais surtout du jean léger -- ici il fait chaud dix mois par an--, "doux, respirable, avec un peu de stretch, pour des gens stylés qui ont des choses à faire".
- Multiples muses -
Le logo de Tshepo Jeans est une couronne à trois piques dessinée à main levée. Hommage "aux femmes qui ont fait de moi qui je suis": sa mère lui a appris la débrouille, sa grand-mère à se comporter en "gentleman", une tante branchée l'a initié à la mode.
Jeune homme, il commence une école de mode mais abandonne par manque d'argent.
Il apprend sur le tas, se fait la main. Et c'est encore une femme qui lui sert de bonne fée: "Je sortais avec une fille incroyable, elle m'a avancé l'équivalent de 400 euros et m'a dit +Vas-y, lance ton business+", raconte le styliste beau gosse, en chemise denim et chaussures en cuir.
A 23 ans, il lance sa première ligne de jeans, remarquée sur les réseaux sociaux. "Quelque chose d'énorme se profile", annonçait-il dans des posts savamment construits, avant de mettre en avant son histoire personnelle: Il captive l'attention des influenceurs et des medias.
Quatre ans plus tard, en 2019, il reçoit un coup de projecteur lors de la tournée africaine de Meghan Markle.
A l'époque beaucoup de Sud-Africains se disaient "pourquoi j'achèterais du Tshepo", se souvient-il. Mais "quand la duchesse de Sussex vous appelle et vous supplie de terminer sa paire de jeans avant son départ", l'image s'inverse.
Plus tard, la chanteuse américaine Beyoncé publie son nom parmi les marques qu'elle admire, effet décuplé.
"Le soutien de célébrités nous a ouvert des portes", avec aujourd'hui des commandes passées depuis l'Europe ou les Etats-Unis.
"Tshepo gagne des coeurs à l'étranger comme ici", confirme Thando Made, un obsédé du denim qui anime un blog dédié, rappelant qu'autrefois en Afrique du Sud, le jean était le bleu de travail des mineurs d'or ou de charbon, des peintres et autres ouvriers.
L'élection de Nelson Mandela en 1994 marque un tournant. Le pays s'ouvre après la fin de l'apartheid, les marques américaines ou italiennes s'installent enfin.
"La fonction du denim a changé, il s'est urbanisé" pour devenir un vêtement versatile qui se porte au bureau comme en boîte, par des millionnaires comme par "n'importe qui dans la rue".
"Le denim est comme une religion: vous choisissez celle qui vous convient", plaisante-t-il. Et Tshepo "parle en ce moment à ceux qui veulent incarner la fierté d'être Sud-Africains".