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Des épis de maïs rabougris, des plants de soja grillés s'invitent ces jours-ci à Washington, où l'Argentine plaide la clémence financière internationale après "la pire sécheresse depuis 1929", présage d'une récolte, donc de rentrées de devises, catastrophique pour une économie déjà fragile.
Vu du ciel, le champ de soja présente comme des lignes de calvitie, de vastes pans clairsemés. Au ras du sol, on comprend : des plantes jaunies, noircies, séchées. Parmi les vertes encore, Jaime Mestre arrache quelques-unes qu'il passe en revue : "celle-ci... zéro gousse, celle-ci... zéro, celle-ci... trois gousses quand elle devrait en avoir au moins 8 fois plus".
Le maïs ? Guère mieux. Les moissonneuses avalent les rangs derrière Jaime, un ingénieur agronome du secteur de Lima, dans la "pampa humide", coeur fertile de l'Argentine à 110 km au nord-ouest de Buenos Aires. Mais pour quels épis ?
Au hasard, il en saisit deux qu'il effeuille. Atrophiés, comme stoppés dans leur développement avec une infime proportion --5% à 10% peut-être--, de grains normalement formés. Diagnostic ? "Une énorme sécheresse, avec par-dessus un stress thermique de plusieurs jours de températures très élevées, au moment de la fécondation", résume pour l'AFP l'ingénieur, qui assure à titre personnel n'avoir "jamais vu cela" en 21 ans de récolte.
En 94 ans, en fait. "La pire sécheresse depuis 1929": c'est ce que le président argentin Alberto Fernandez a assuré fin mars à la Maison blanche à Joe Biden, en sollicitant son appui auprès d'organismes de crédits internationaux, le Fonds monétaire international (FMI) en premier chef, pour une indulgence face aux échéances de l'Argentine.
Il est tôt encore pour des bilans définitifs, mais pour l'Argentine agro-exportatrice par excellence, avec soja, blé et maïs en tête, les prévisions de récolte inférieures de 35 et 50% par rapport à l'année dernière convergent vers des pertes spectaculaires.
"Environ 15 milliards de dollars de recettes à l'export, et en comptant l'effet multiplicateur du secteur agro, près de 20 milliards de pertes au total pour l'économie, presque 3 points de PIB", analyse pour l'AFP Tomas Rodriguez Zurro, économiste à la Bourse de Rosario, place argentine de référence pour l'agro-industrie.
- "La récolte ne vaut pas le gasoil" -
Mauvais alignement de planète pour la 3e économie d'Amérique latine, en manque criant de réserves de changes, confrontée à une inflation chronique, accentuée depuis un an par l'impact de la guerre en Ukraine, et à présent par une troisième année consécutive de sécheresse. Quand le phénomène cyclique "La Niña" n'en inflige généralement qu'une, à la limite deux.
"Dieu n'est plus péroniste", ironisait cette semaine le quotidien proche de l'opposition (de droite) Clarin, en référence à une expression parfois entendue dans le camp gouvernemental par le passé, quand de bonnes récoltes, ou des cours mondiaux du soja favorables, coïncidaient avec un exécutif issu de ce mouvement politique -comme l'actuelle coalition de centre-gauche.
Pour la troisième fois en un an, le ministre de l'Economie Sergio Massa a annoncé mercredi un taux de change préférentiel et temporaire -l'Argentine a un taux officiel et plusieurs parallèles- à la fois pour inciter le secteur soja à booster ses exportations (donc les rentrées fiscales), et compenser les pertes de de quelques 69.000 producteurs sinistrés. C'est le "dollar agro".
Comme M. Fernandez a obtenu promesse du "soutien" de Biden devant les organismes de crédit, M. Massa est revenu de Washington, où il a aussi parlé sécheresse au FMI, avec un déboursement d'une nouvelle tranche de 5,3 milliards USD d'aide, dans le cadre du plan de refinancement de la dette de Buenos Aires envers le Fonds -un prêt de 44 milliards USD octroyé en 2018.
Les bailleurs ne lâchent pas l'Argentine -même si deux agences de notation viennet d'abaisser la note de sa dette. Mais dans les champs autour de Lima, ce sont des parcelles entières qu'on abandonne, qui ne seront pas récoltées. "Elles ne valent pas le coût du gasoil de la moissonneuse", tranche Jaime Mestre.
Et l'inquiétude est déjà là pour les "secondes" cultures, avec le blé "qui devrait se semer d'ici un mois mais sans l'humidité requise dans le sol pour ensemencer".
A moins que le pire ne soit l'impact social, qui viendra en différé, "sur les petits villages de l'intérieur du pays où la baisse d'activité économique (agricole) se fera sentir le plus".