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Argentine: entre inflation et "audit" de l'aide, les soupes populaires comptent leurs pâtes

Comment cuisiner pour davantage, avec moins ? Les soupes populaires d'Argentine raclent les fonds de celliers, en tenaille entre des demandeurs plus nombreux et une aide publique raréfiée, officiellement dans l'attente d'un "audit" par le gouvernement Milei en vue d'une aide plus "transparente".

Les récipients en plastique s'amoncellent sur la table, déposés comme chaque jour par les voisins, dans cette soupe communautaire de Loma Hermosa, faubourg défavorisé à 40 km du centre de Buenos Aires.

Les cuisiniers, échangent un regard inquiet. Il n'y a que 8 kilos de pâtes pour les remplir.

"Je ne sais pas si on va y arriver aujourd'hui...", grince Carina Lopez, 50 ans, qui gère cette cantine, dans une maison appartenant à deux frères, aux fourneaux.

Depuis deux mois l'inquiétude monte dans nombre des 40.000 "comedores" d'Argentine, ces soupes populaires héritage de la vague d'entraide, spontanée puis organisée, dans la foulée de la "Grande crise" économique de 2001.

Car comme dans la cuisine de Loma Hermosa, les gamelles se multiplient, à mesure que l'inflation s'affole (plus de 58% cumulés sur trois mois), notamment sous l'effet des premières mesures d'austérité du gouvernement ultralibéral: dévaluation et libération des prix.

Mais en parallèle, le gouvernement a quasi-gelé l'octroi d'aide alimentaire.

Officiellement, pour "auditer" les besoins de chaque comedor, et instaurer un système de "transfert direct" pour que chaque site réalise ses achats, au plus près de ses besoins.

Objectif: en finir avec l'aide alimentaire "discrétionnaire", la rendre "transparente", et "supprimer les intermédiaires", ou "gérants de la pauvreté", expression fétiche qui dans le langage des autorités vise les mouvements sociaux --clientélistes selon elles-- proches de l'opposition péroniste (centre-gauche).

- "Réduire les repas" ? -

Le problème, c'est qu'en attendant cette "méthode innovante qui permettra que l'aide arrive à qui en a vraiment besoin", selon les mots du porte-parole présidentiel Manuel Adorni, aucun schéma transitoire n'est en place.

Et les garde-mangers des comedores se vident, dépendant de municipalités ou de dons privés pour leurs achats au jour le jour.

"Ils m'ont dit de réduire le nombre de jours servis, ou réduire le nombre de gens servis", se plaint Carina de ses contacts récents avec les autorités. "Mais je ne peux ôter personne ! J'ai même des gens nouveaux, des nouvelles personnes âgées".

Nouveaux, comme Daniel Barreto, maçon de 33 ans, qui peine à trouver un emploi, des petits boulots, dans un contexte où nombre de chantiers sont à l'arrêt, où chacun, des collectivités aux PME et aux particuliers, compte au plus près.

"J'ai mon épouse, quatre gamins. Travail ou pas, quand tu vas faire tes courses, t'as jamais assez d'argent" à cause de la hausse continue des prix, gémit Daniel à l'entrée du comedor.

Les mouvements sociaux, comme "Libres del Sur", qui coordonnent ces sites assurent que l'affluence a augmenté de près de 50% sur deux derniers mois d'inflation brutale. "Et ça ne fait que commencer", prévient Melissa Caceres, référente locale.

L'afflux pourtant, ne saute pas aux yeux. Si Daniel est venu chercher ses récipients de spaghetti ou fusilli, agrémentés d'une tranche de poitrine de porc, souvent c'est un enfant qu'on envoie discrètement: la soupe populaire n'est guère un endroit où l'on se montre.

- "Aide sans délai" -

Au-delà de Carina, qui compte les kilos de pâtes, note rations et bénéficiaires dans un petit cahier, l'Eglise s'impatiente: début février, la Conférence épiscopale argentine a dans un cinglant communiqué affirmé que "la nourriture ne peut être une variable d'ajustement" et exigé que "tous les lieux qui donnent à manger (...) reçoivent de l'aide sans délai".

Le gouvernement de son côté, redouble d'efforts pour montrer que la dérégulation voulue par Milei ne laissera pas tomber les "vulnérables". Le montant des bons alimentaires a été doublé à 44.000 pesos (50 dollars) pour un ménage avec enfant, des programmes d'aide pour plus d'un demi-million de dollars ont été conclus avec les Eglises évangéliques ou le réseau catholique Caritas, par Sandra Pettovello, ministre du "Capital humain" --comme Javier Milei a rebaptisé le portefeuille du Développement social.

Caritas, reconnaissant, a néanmoins pris ses distances avec l'aide sélective des autorités: "un pays où la pauvreté augmente ne peut tolérer les opinions partisanes, les préjugés idéologiques et les luttes sectorielles".

L'aide alimentaire, nouveau champ de lutte politique ? Sandra Pettovello est désormais visée par une plainte au pénal d'un syndicaliste, ex-candidat à la présidentielle, pour "manquement à son devoir" faute d'approvisionnement des soupes populaires.

Pour aujourd'hui, à Loma Hermosa, Carina respire : de sa cuisine enfumée et suractive sont bien sorties 130 écuelles remplies.

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