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Une baguette à 1,30 euro, quand elle coûtait auparavant 1 euro tout rond: dans un quartier commerçant de Paris, une enquêtrice de l'Institut national de la statistique (Insee) relève consciencieusement, tablette à la main, des prix qui alimenteront le calcul de l'inflation, comme des millions d'autres.
Restaurant, boulangerie, boucherie, supermarché, librairie, maroquinerie, garage, coiffeur, auto-école, hôtel ou pompes funèbres: comme chaque mois, "qu'il pleuve, qu'il neige ou qu'il fasse chaud", Estelle Cardot visite, d'un pas assuré, une vingtaine de commerces aux Batignolles, un quartier du nord-ouest de la capitale.
En cette fin avril, trois heures durant lors d'une fraîche journée, elle y recueille, sur une application, les prix d'un échantillon de biens et services - généralement les mêmes de mois en mois, sélectionnés sur la base d'un descriptif fourni par l'Insee.
La plupart des commerçants la reconnaissent et la saluent cordialement.
"C'est comme une liste de courses, mais au lieu de les mettre dans le panier, on prend juste le prix", explique à l'AFP cette ancienne opticienne qui a choisi ce métier par commodité personnelle.
Une fois télétransmis, ces montants affichés sur les étiquettes - et d'autres collectés par millions... - serviront à calculer mensuellement "l'indice des prix à la consommation", l'indicateur qui mesure l'inflation.
Celle-ci atteint actuellement des sommets inédits en presque quatre décennies, avec des flambées à deux chiffres pour l'alimentaire.
"On me demande souvent: +L'inflation, ça va s'arrêter?+ Je n'ai pas la réponse, mais ça reste une interrogation que tout le monde pose en ce moment", témoigne Estelle Cardot.
- Exit les rognons -
Dans la boucherie d'une rue piétonne, elle se faufile entre les clients avec sa "liste de courses": poulet rôti, côte de boeuf, chair à saucisse...
"C'est une des rares enseignes qui fait des efforts pour ne pas trop répercuter" la hausse, relève-t-elle. Le patron préfère rogner sur ses marges.
Dans le supermarché tout proche en revanche, un employé prédit que la viande "va monter encore".
Chez le poissonnier, le saumon Label Rouge culmine à 44,90 euros le kilo (39,90 euros un an auparavant) mais le prix du poisson est "très fluctuant", nuance l'enquêtrice.
Aux pompes funèbres, elle pianote les prix - plusieurs en hausse - que lui communique un employé pour un ensemble de prestations (cercueil, capitons, crémation, pierre tombale...). "Les matières premières ont augmenté", justifie l'employé, citant le granit ou le chêne.
L'Insee suit l'évolution des prix d'un panier de milliers de biens (alimentation, vêtements, voitures, etc.) et services (loyers, assurance, restauration, etc.) représentatif de la consommation des ménages.
Y figurent toutes les catégories de produits représentant au moins 0,1% des dépenses de consommation, et leur poids relatif dans celle-ci est pris en compte également.
Au début de chaque année, la composition du panier est revue pour l'adapter aux habitudes de consommation.
"En 2022 par exemple, on avait introduit les trottinettes électriques. En 2023, on a ajouté la baguette tradition et réintroduit les disques vinyles, et fait sortir les rognons de porc, moins consommés", explique à l'AFP Christel Colin, directrice des statistiques démographiques et sociales de l'Insee.
- Inflation ressentie -
Au total, 150.000 relevés de prix sont effectués chaque mois par quelque 260 enquêteurs de l'Insee dans 26.000 points de vente à travers la France.
S'y ajoute, depuis 2020, la collecte quotidienne des prix de 80 millions de produits d'alimentation industrielle, d'entretien ou d'hygiène-beauté vendus dans 8.000 points de vente de la grande distribution, provenant des passages en caisse des clients. Le tout traité par des infrastructures de big data.
Il y a aussi 500.000 prix relevés sur internet, manuels ou par moissonnage (web scraping), pour des billets de trains notamment; et ceux obtenus via des bases de données administratives (assurance maladie, carburants).
Bien que le panier moyen soit très affiné, le taux d'inflation publié ne reflète pas forcément le ressenti des Français.
"On est d'abord sensible à l'évolution des prix des produits qu'on consomme le plus fréquemment, et moins sensible aux baisses", explique Christel Colin.
Entres autres explications au ressenti variable, le profil de consommation joue aussi.
Ainsi, dans le monde rural où l'on détient plus souvent un véhicule, un foyer sera plus sensible à la hausse du prix de l'essence.