Partager:
Dans le ciel du bassin d'Arcachon, à 70 mètres de haut, une grande aile bleue de kitesurf fait des huit à l'horizontale pour propulser, par la force du vent, un catamaran laboratoire de la navigation décarbonée.
"Vous êtes prêts à +jiber+ ?", lance Yves Parlier à son équipe d'ingénieurs chargés de manœuvrer la voile à boudins de 25 mètres carré.
Comprendre "virer de bord par vent arrière", terme emprunté à la pratique sportive du kitesurf, que la start-up girondine Beyond The Sea, fondée par le navigateur, adapte sur des bateaux. Cette pionnière en France de la propulsion vélique y voit le futur du transport maritime mondial.
"C'est un système de traction phénoménal qui permet de réduire la consommation de carburant de 20% en moyenne", affirme l'ancien vainqueur de la Solitaire du Figaro, de la Route du Rhum et de la Transat Jacques Vabre.
Sur son catamaran SeaKite, version modernisée de l'hydraplaneur avec lequel le marin-bricoleur a battu plusieurs records du monde de vitesse - et failli perdre la vie lors du Vendée Globe en 2000 - l'équipage teste un système de pilotage automatique de ce grand cerf-volant, mêlant électronique, mécanique et intelligence artificielle.
Un équipement adaptable, selon lui, sur des yachts, chalutiers ou porte-conteneurs. L'enjeu est de taille: la flotte mondiale est censée réduire de 40% ses émissions de CO2 d'ici à 2030 et de 70% d'ici à 2050 pour s'adapter aux nouvelles règles de l'Organisation maritime internationale (OMI).
Avec près de 100.000 navires de marine marchande en circulation et 4,6 millions de bateaux de pêche dans le monde, le marché est considérable.
L'association Wind Ship, qui fédère la filière française, l'estime à 4 milliards d'euros à l'horizon 2030, avec environ 1.400 navires équipés d'une propulsion vélique.
En mars, Beyond The Sea poursuivra ses tests avec des armateurs dans les eaux de Norvège, en Méditerranée et au Japon. La société compte doubler la taille de ses voiles tous les ans, jusqu'à "800 m2 d'ici quatre ans", indique son directeur général, Marc Thienpont.
- Frilosité -
Sur le même segment, Airseas teste actuellement le Seawing, un immense kite de 500 m2, qui doit encore doubler pour les plus grands navires.
Cette entreprise nantaise, dont Airbus détient 11% du capital, a équipé fin 2022 un vraquier de la société japonaise K.Line, son plus gros client qui a passé cinq commandes fermes et pris 46 options. Elle équipe aussi un navire roulier transportant des éléments d'A320 entre Saint-Nazaire (Loire-Atlantique) et le port américain de Mobile (Alabama), où l'avionneur européen a une usine.
Autres solutions alternatives, celle des Chantiers de l'Atlantique et son Solid Sail, un gréement pour paquebots, constitué d'une voile rigide en panneaux composite et d'un mât inclinable pour passer sous les ponts. Ou les ailes semi-rigides d'Ayro qui transporteront les composants du lanceur Ariane 6 depuis l'Europe vers la Guyane sur le voilier cargo français Canopée, en cours d'équipement.
De nouvelles compagnies maritimes françaises se sont lancées dans la navigation uniquement à voile comme Zéphyr et Borée, Windcoop, Neoline ou Towt.
"En France, on est à des niveaux de maturité opérationnelle qui permettent la commercialisation", assure la déléguée générale de Wind Ship, Lise Detrimont.
Mais si la filière a le vent en poupe, son attractivité souffre d'un prix du baril de fioul lourd au plus bas, échappant aux taxes. "Le transport maritime ne coûte rien tant que les réglementations environnementales n'entrent pas en vigueur", explique la représentante de l'association.
Le lobby des carburants décarbonés est aussi perçu comme un frein. Leur coût est toutefois "cinq à sept fois" plus élevé qu'un fioul classique, selon Wind Ship qui plaide pour une utilisation hybride avec la voile.
Face aux grands énergéticiens, la filière a engagé un dialogue avec l'Etat pour faire reconnaître le vent comme un carburant. Avec à la clé, selon elle, "plus de 30.000 emplois" en 2030 et 15.000 emplois induits. A la condition de pouvoir financer les investissements nécessaires à une industrialisation de la filière.
"Or les investisseurs privés sont très frileux et ne veulent pas prendre de risques", alerte Stéphanie Lesage, secrétaire générale d'Airseas qui anticipe une "concurrence féroce".