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Des scientifiques identifient un frein au cannibalisme chez les criquets

Les nuées de criquets noircissant le ciel et dévastant toutes les cultures sur leur passage sont connues depuis les temps bibliques, mais elles menacent aujourd'hui encore la sécurité alimentaire de millions de personnes en Asie et en Afrique.

Des scientifiques ont annoncé jeudi avoir découvert une phéromone que ces insectes émettent afin de ne pas être dévorés par leurs congénères -- une trouvaille qui pourrait être utilisée à l'avenir pour dompter ces bêtes voraces.

Bill Hansson, directeur du département de neuroéthologie au Max Planck Institute et auteur principal de cette étude, publiée dans la revue Science, a déclaré à l'AFP s'être appuyé sur des recherches antérieures, ayant montré que ces essaims étaient en partie régis par la menace de cannibalisme.

Le cannibalisme n'est pas rare dans la nature -- des lions mangeant les lionceaux ne leur appartenant pas, aux renards mangeant leurs congénères morts pour se rassasier.

Pour les criquets, le cannibalisme sert un but bien précis.

Les criquets migrateurs (locusta migratoria) traversent des phases de comportement si différentes que l'on pensait jusqu'à récemment qu'il s'agissait d'espèces séparées.

En général, ces animaux sont plutôt solitaires et mangent relativement peu.

Mais ils se transforment lorsque la densité de leur population augmente, lors de pluies et de conditions de reproduction temporairement optimales -- suivies par une période de manque de nourriture. Une poussée d'hormones les fait alors vrombir, formant ces essaims et les rendant plus agressifs.

Ce moment est connu comme la phase "grégaire", et le cannibalisme permettrait de les maintenir en mouvement afin de les conduire vers des zones plus riches en nourriture, selon une étude de 2020 menée par Iain Couzin, du Max Planck Institute for Animal Research.

En effet, explique Bill Hansson, "les criquets se mangent par derrière. Donc si vous arrêtez de bouger, vous êtes mangé par un autre." Ce qui explique que l'essaim se dirige dans la même direction.

- Quatre ans de tests -

"Nous nous sommes dit que tout animal développait une sorte de défense", a poursuivi le chercheur.

Pour le déterminer, les expériences ont duré quatre ans. Lui et son équipe ont d'abord prouvé que les taux de cannibalisme augmentaient bien lorsque les criquets "grégaires" étaient de plus en plus nombreux dans une cage (à partir de 50), démontrant en laboratoire ce qui avait été observé sur le terrain en Afrique par Iain Couzin.

Puis ils ont comparé les odeurs émises par les criquets solitaires et grégaires, et identifié 17 d'entre elles produites exclusivement par les criquets de phase grégaire.

Une substance chimique en particulier, la phénylacétonitrile, a montré repousser les autres criquets lors de tests.

Cette substance est impliquée dans la production par le criquet grégaire d'une toxine (cyanure d'hydrogène), et il semble donc logique qu'elle constitue le signal envoyé aux autres individus pour qu'ils se tiennent à distance.

- Modification génétique -

Pour confirmer leur découverte, les scientifiques ont utilisé les ciseaux moléculaires CRISPR pour génétiquement modifier les criquets, afin qu'ils ne puissent plus produire la phénylacétonitrile. Résultat: ils étaient plus vulnérables au cannibalisme.

Les chercheurs ne se sont pas arrêtés là, en testant des dizaines de récepteurs olfactifs des criquets, s'arrêtant finalement sur l'un d'eux, particulièrement sensible à cette substance chimique.

Des criquets génétiquement modifiés, ne pouvant plus utiliser ce récepteur, ont présenté un comportement cannibale renforcé.

Dans un article de commentaire également publié dans la revue Science, les chercheurs Iain Couzin et Einat Couzin-Fuchs ont estimé que cette découverte apportait un éclairage sur "l'équilibre compliqué" entre les mécanismes poussant les criquets migrateurs à se regrouper, ou à entrer en rivalité.

Des méthodes pour contrôler leur population pourraient utiliser une technologie augmentant la compétition entre eux. En même temps, "il ne faut pas éradiquer l'espèce", avertit Bill Hansson.

Et d'ajouter: "Si nous pouvions diminuer la taille des essaims, ou les attirer vers des endroits sans cultures, alors nous aurons beaucoup gagné."

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