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A plusieurs centaines de mètres sous terre, Emylbek Oumarov, pic en main, détache des blocs de charbon, le meilleur du Kirghizstan, malgré le danger latent dans ces mines de Soulouktou qui ont englouti des dizaines de mineurs ces dernières années.
"C'est effrayant, c'est dur, mais il n'y a pas d'autre travail ici", raconte à l'AFP le mineur de 27 ans, lors d'un court moment de répit.
Dans ces boyaux éclairés par quelques lampes pendant au plafond d'où suintent des gouttes d'eau, des quintes de toux résonnent.
Celles de ses camarades, le visage noirci, qui chargent dans un air étouffant près d'une tonne de charbon dans un wagonnet.
Pourtant doublement diplômé en informatique et en économie, Emylbek a été obligé, comme tant d'autres dans cette région aux confins sud-ouest du Kirghizstan dépendante de l'économie du charbon, de descendre à la mine.
A coups de marteaux perforateurs, de pics, de pelles et d'explosif, il s'escrime avec ses camarades douze heures par jour, quinze fois par mois, de jour comme de nuit. Pour moins de 150 euros mensuels.
Avant de plonger dans les entrailles des monts du Turkestan, les mineurs ont été ballottés une heure durant sur des routes défoncées dans un camion russe Kamaz.
Au loin, dans ces paysages cabossés, quelques silhouettes se dévoilent dans l'aube rosée: des squelettes métalliques de chevalets datant de l'époque soviétique.
- "Peur" -
Nichée sur les contreforts de massifs montagneux, la ville de Soulouktou, fondée en 1868, est l'un des plus anciens centres d'extraction de charbon d'Asie centrale.
Ici, tout rappelle l'anthracite: "Pain du mineur", "bière sans alcool du mineur", équipe de football locale nommée "Chakhtior" ("mineur", en russe), fine poussière de charbon s'accumulant sur le sol...
Cette ville, qui "chauffait l'Asie centrale sous l'Union soviétique", comme l'explique le maire Maksat Kadyrkoulov, a été frappée comme beaucoup d'autres par la désindustrialisation consécutive à la fin de l'URSS, connaissant une chute brutale de la population et de la production de charbon.
"Ici, il n'y a pas de terres faites pour l'agriculture, on travaille seulement dans l'extraction du charbon et il n'y a pas une famille sans mineur", résume-t-il.
Mais M. Kadyrkoulov "espère que Soulouktou retrouvera sa gloire d'antan" en profitant d'un besoin croissant de charbon en Ouzbékistan, au Kirghizstan et au Kazakhstan, en proie à des crises énergétiques fréquentes.
A l'entrée de la ville, une faucille et un marteau de quatre mètres de haut font face aux statues dorées de deux mineurs, devant lesquelles défilent un ballet incessant de camions remplis de charbon.
Ces derniers sont désormais obligés de faire un périple de 350 kilomètres pour livrer leur cargaison en Ouzbékistan, la frontière avec le Tadjikistan voisin étant désormais fermée en raison de conflits récurrents.
Sur une fresque murale en mosaïque à la gloire du pouvoir soviétique, un mineur sur fond d'une étoile rouge fait face aux passants, entouré de quatre personnages montrant le processus d'extraction du charbon.
Autrefois, "c'était une fierté d'être mineur", dit Nimadjan Abdoulaïevitch, 64 ans, dont 37 passés dans les carrières.
"J'ai même reçu la médaille pour +la valeur du travail+" de la main de Gromyko", ex-ministre soviétique des Affaires étrangères, se félicite-t-il d'une voix rauque, la faute à un cancer de la gorge.
- "A la main" -
Si aucun mineur n'a perdu la vie dans la "mine d'or noir" où travaille Emylbek, l'une des cinq plus grosses entreprises d'extraction de Soulouktou dirigée par le jovial Kanynbek Ismailov, le risque plane toujours.
Avec cette phrase qui revient dans la bouche des mineurs. "La mine, c'est le deuxième front, tu risques d'y mourir."
L'an dernier, les barres de métal, les planches et les troncs de bouleaux soutenant la veine ont cédé sur Emylbek, lui brisant la jambe.
"Depuis, la peur reste", reconnaît ce solide jeune homme aux traits encore juvéniles. Une histoire quasi-similaire à celle de son père Djoumbaï, qui travaille désormais à la surface en tant que soudeur.
Si les conditions dans cette mine sont bien meilleures que dans la quarantaine que compte Soulouktou, M. Ismailov déplore le manque de moyens.
"On récupère ce qui n'a pas été exploité sous l'URSS, on fait tout à la main, on n'a pas de matériel neuf", résume le quadragénaire qui, tant bien que mal, tente de s'assurer du bien-être de ses employés.
Roulant à toute vitesse dans sa Lada Niva rouge de retour de la mine, M. Ismailov se presse de rentrer à Soulouktou, où il doit présider une cérémonie pour bénir un nouveau camion. Qui servira à transporter du charbon, évidemment.