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Un "noeud à l'estomac" depuis que le gouvernement a annoncé le 8 février vouloir supprimer leur Institut de radioprotection et sûreté nucléaire (IRSN), organisme émettant des avis scientifiques indépendants, deux chercheurs expriment à l'AFP leurs craintes d'une perte de transparence dans un secteur sensible.
"surveiller de manière indépendante"
Cécile Cunin, 43 ans, radiochimiste, travaille depuis 20 ans dans la recherche sur le nucléaire. Elle participe à la simulation d'accidents sur un réacteur pour voir comment l'iode réagit sous l'effet du rayonnement d'un coeur de réacteur en fusion. "Cela nous permet d'anticiper l'impact sur les populations autour de la centrale qui serait touchée".
"Avec Tchernobyl [catastrophe nucléaire en 1986], il y a eu tellement de mensonges, de choses qui n'ont pas été dites, que ça a miné la confiance. Il fallait tout reconstruire et c'est ce qui est en marche avec l'IRSN. Quand le chantier du réacteur nucléaire EPR s'arrête parce qu'il y a des problèmes de soudure, le public se dit : +Il y a quelqu'un qui regarde+. L'IRSN, en disant : +Là on doit arrêter+, a gagné en crédibilité. Et toute la chaîne a gagné en crédibilité sur le nucléaire, même le gouvernement, parce qu'ils ont créé une structure qui protège les populations. Les gens se disent qu'il n'y a plus cet étage tout en haut qui dit à la population : +Non, non, le nuage s'arrête à la frontière+, comme cela s'était produit lors de Tchernobyl".
"Mes parents étaient allergiques au nucléaire. Quand ma maman a su que j'allais travailler là-dedans, elle avait des réticences, mais j'ai vu son regard changer. Une confiance s'instaure quand un organisme indépendant comme l'IRSN dit : +Cela marche ou ne marche pas+. S’il n'y a personne pour surveiller de manière indépendante, ça me pose question".
"On est reconnu mondialement: lors de la catastrophe de Fukushima au Japon, c’est l'IRSN qui a été appelé, ils ne sont pas allés chercher les Américains".
Au-delà des questionnements éthiques, elle évoque l'angoisse des 1.725 salariés après l'annonce du gouvernement: "Je ne sais pas à quelle sauce on va être mangé, j'ai un noeud à l'estomac qui grandit", souligne cette mère de famille.
"garantir sa crédibilité"
Jean Desquines, 55 ans, chercheur sur le comportement du combustible nucléaire en situation accidentelle.
"On a subi des reproches répétés des partenaires du nucléaire qui trouvaient que notre recherche était trop poussée. Je considère que c'est aussi un compliment de la part d'EDF, qu'on regarde de près leur travail. On incite EDF à investiguer des points sur lesquels nous pensons que la vigilance est nécessaire".
"Notre recherche est fragile car très spécifique, donc si on est immergé dans un autre groupe, il peut y avoir une tentation forte qu'elle soit plus ou moins directement guidée par EDF et donc à la botte de l'exploitant. C'est un danger réel".
"L'IRSN a été constitué séparé de l’Autorité de sûreté nucléaire pour garantir sa crédibilité auprès du public. La décision appartient à l'ASN, nous on conseille, mais on s'assure que le conseil est le moins influencé possible par des considérations politiques".
"Actuellement, on peut publier nos travaux, avec des retenues parfois, mais qui ne touchent pas à la transparence. Par contre, bon nombre de recherches du Commissariat à l'énergie atomique (CEA) ne sont pas publiées, à la demande des commanditaires des études, généralement EDF ou Framatome et, il me semble, pas toujours pour protéger des savoir-faire. Nous avons à l'IRSN une vraie liberté, sans pour autant perdre le sens des responsabilités".
"La manière dont a été annoncée la dissolution de l'IRSN a été d'une brutalité inouïe, les employés se sont sentis déplacés comme des pions".
"J'ai des collègues qui ont un emprunt, des enfants, qui ne savent pas où demain ils seront".