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"On me donnait six mois": le suicide de son mari, le chef étoilé Bernard Loiseau, devait sonner le glas du groupe familial. Vingt ans après, Dominique a au contraire déployé ses ailes, aidée par la solidarité de ses filles.
"C'était très difficile au début", murmure pudiquement Dominique Loiseau, assise, droite et digne, au bord d'un feu de cheminée ronflant dans l'élégante bibliothèque du Relais Bernard Loiseau, hôtel 4 étoiles à Saulieu (Côte d'Or) et navire-amiral du groupe familial.
Le 24 février 2003, le chef se suicidait à 52 ans avec son fusil de chasse.
Une mort due à "une dépression", expliqua sa veuve afin de couper court aux rumeurs selon lesquelles la star des fourneaux n'aurait pas supporté la soi-disant perte à venir de sa troisième étoile Michelin.
Le guide gastronomique expliqua plus tard que cela n'avait jamais été son intention.
Pour Dominique, qui avait alors 50 ans, un monde s'écroulait. Mais "je n'avais pas le choix. C'était devenu une mission de pérenniser l’œuvre de Bernard", dit-elle à l'AFP. "Je me suis dit: je vais essayer car, sinon, je m'en voudrais toute ma vie".
"Et ça a marché". Le groupe Loiseau a triplé ses bénéfices quatre ans après la mort de Bernard, multipliant les développements tous azimuts.
En 2007, un restaurant était ouvert à Beaune, puis un autre, en 2013 à Dijon. Un troisième est prévu ce printemps à Besançon.
Ces trois tables s'ajoutent à "La Côte d'Or", restaurant-fleuron du groupe que Bernard Loiseau avait repris en 1975 en même temps que l'hôtel de Saulieu qui l'abrite.
Tout récemment, le groupe a également racheté l'hôtel La Tour d'Auxois, un établissement de 29 chambres situé juste en face du Relais Loiseau.
Pourtant, nombreux étaient les Cassandre qui annonçaient la chute du groupe. "On me donnait six mois", se souvient Dominique.
"Mais on est toujours là", se félicite la patronne, consciente qu'elle n'aurait pas pu tenir à elle seule "la maison", comme elle l'appelle, sans ses filles, dans une sorte d'esprit de corps à la "Drôle de Dames".
"C'est un miracle que mes deux filles aient rejoint le groupe. Je ne leur avais même pas demandé, je n'avais pas osé. Ca a été comme naturel."
- "Là-haut, il est content" -
"Ca s'est fait pendant le confinement", explique Bérangère, l'aînée des Loiseau qui avait 13 ans au départ de son père. "On a vu cette maison presque abandonnée et on s'est dit: ce n'est pas possible".
La trentenaire est alors devenue vice-présidente du groupe, après un Master d'une grande école de commerce.
"Je ne m'imaginais pas être là aujourd'hui. Ca fait quelque chose, ça remue un petit peu là, oui", dit-elle dans la magistrale salle classée monument historique du Relais Bernard Loiseau, où ont dîné les Dali, Picasso et Chaplin.
"La maison a perduré. C'est beau de le voir", s'émeut aussi Blanche, la petite dernière des Loiseau qui n'avait que six ans au décès de son père.
Après un master à l'Institut Paul Bocuse, elle fait des stages en Angleterre, Espagne et Japon, avant de revenir à Saulieu.
"Je suis tombée dans la marmite de la cuisine", dit-elle.
"Quand Blanche était petite, elle déambulait mais elle allait plus à la pâtisserie voir le chocolat", confirme dans des rires complices Patrick Bertron, qui a succédé à Bernard Loiseau à la tête des cuisines de La Côte d'Or.
A 26 ans aujourd'hui, Blanche prépare avec le chef Bertron les plats qu'elle présentera dans le nouveau restaurant du groupe, à Besançon, "mon premier poste de cheffe", avoue-t-elle fébrilement.
"Elle a la fibre familiale, c'est le portrait craché de Monsieur Loiseau", dit respectueusement le chef Bertron, qui, à 61 ans, prépare sa retraite.
"Mon but ultime, c'est de revenir ici, à la place de papa", confesse Blanche. "Mais ici, c'est un chef étoilé. J'ai encore beaucoup de chemin à faire".
"Je pense que la relève est assurée", lâche sa mère Dominique.
Au plus grand plaisir de Bérangère: "je suis sûre que, là-haut, il est content, papa".