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Dans la vallée du Rhône, toutes les vendanges ne se ressemblent pas. Dominique Courbis, 60 ans, en sait quelque chose : sur ses coteaux abrupts zébrés de vignes, le raisin se récolte uniquement à la main, "comme au XIXe siècle".
Son domaine ardéchois, qui s'étend sur près de 40 hectares, est pour plus de la moitié couvert de pieds de Syrah. Grâce à ce cépage noir, ami des sols granitiques, il produit comme ses voisins l'un des crus phares de la région, le Saint-Joseph.
En ce mois de septembre, la main d'oeuvre -des hommes pour la plupart- s'affaire depuis le petit matin à flanc de colline. Avec une vue de premier choix sur le Rhône et les vignobles alentour.
Le travail doit durer deux semaines, et "physiquement, c'est un engagement", affirme Dominique Courbis.
Certains les qualifient d'"héroïques", lui parle plutôt de "vendanges de l'extrême" : contrairement à la viticulture de plaine, où des machines avancent d'ordinaire à califourchon sur les vignes pour ramasser les grappes dodues gorgées de sucre, la topographie de ses terres rend toute mécanisation impossible.
Des kilomètres de murets de pierres, présents pour lutter contre l'érosion des sols, dessinent un paysage de terrasses sur les coteaux pentus.
- "Pied montagnard" -
Les raisins sont coupés manuellement, puis chargés sur de petits tracteurs, seuls engins capables de sillonner les étroits chemins à travers les parcelles. "On travaille comme au XIXe siècle, on est aux antipodes du productivisme !", appuie le vigneron.
Selon lui, l'inclinaison du terrain peut parfois dépasser les 50 degrés. Et il faut éviter de s'agripper aux échalas, ces bâtons de bois verticaux auxquels la vigne est fixée, qui manquent de solidité. Glissades et dérapages sont donc souvent de la partie, avoir bon équilibre est de rigueur.
C'est le cas d'Alan Philippe, 32 ans. Accroupi près d'un cep, bob sur la tête, ce moniteur de ski, habitué aux pentes des Ménuires (Savoie), l'explique aisément. "J'ai sûrement le pied montagnard !", avance-t-il.
Quelque 430 vignerons travaillent sous AOC Saint-Joseph. Créée en 1956, celle-ci concerne désormais 60km de parcelles en bordure de Rhône, entre les appellations Cornas et Côte-Rôtie, autres vins emblématiques rhodaniens.
L'intérêt de la viticulture en coteaux repose sur l'ensoleillement optimal des vignes et le ruissellement des eaux, qui évite qu'elles ne stagnent en cas d'intempéries, rappelle à l'AFP Joël Durand, viticulteur et président des vignerons de l'appellation Saint-Joseph.
Au-delà, c'est aussi le côté "traditionnel" qui séduit, ajoute-t-il. Ici, la culture de la vigne a débuté il y a des siècles, et "les vignerons recherchent un ancrage sur ces territoires ancestraux".
- Comme les "ancêtres" -
A quelques kilomètres au nord du Domaine de Courbis, la famille de Mikaël Desestret, 49 ans, est installée depuis six générations.
Il est aujourd'hui à la tête du Domaine de la Côte Sainte-Épine, sept hectares plantés de Syrah et un de Marsanne, autre cépage (blanc) utilisé pour la vinification du Saint-Joseph. Ses plus vieux ceps ont 180 ans.
Pour la saison 2024, une trentaine de vendangeurs est venue lui prêter main forte. Des coupeurs, postés aux pieds des vignes, et des porteurs, hottes sur le dos, qui déchargent le raisin dans des bennes, jusqu'à 60 kg et parfois non sans un petit juron face à l'effort.
Le vigneron dit avoir du mal à recruter : "En coteaux, il y en a qui font demi-tour !", explique-t-il. Aucune volonté pourtant de changer les habitudes, il souhaite continuer à "jouer la carte du terroir" car, confie-t-il, "je suis fier de pouvoir perpétuer le métier de mes ancêtres".
Sa fille Myléna, 21 ans, supervise de temps en temps les vendanges lorsque son père, dont elle tient ses yeux bleus, vaque à d'autres occupations.
Elle ne sait pas encore si elle reprendra un jour les rênes du domaine mais, dit-elle, si elle affectionne tant, elle aussi, ce travail pénible, c'est parce qu'il a "une âme, une histoire à raconter".