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Dans le delta du Danube, le sacerdoce d'un médecin itinérant

Chaque vendredi, le médecin roumain Jorj Cristea se lève à l'aube, prend le premier ferry pour traverser le Danube puis parcourt 80 km au volant de sa vieille Dacia sur un chemin caillouteux.

Sa destination: un village isolé du delta du fleuve, loin de toute aide médicale.

A son arrivée ce jour-là à Chilia Veche (sud-est), non loin de la frontière ukrainienne, l'attend un patient en détresse, probablement victime d'un AVC.

Epaulé par une infirmière, il lui apporte les premiers soins, mais il faudra deux heures au bateau-ambulance pour arriver et quasiment le double pour que l'homme de 57 ans parvienne à l'hôpital le plus proche.

"Si vous avez une pierre au rein (calcul rénal), vous avez le temps de la perdre en chemin", plaisante M. Cristea, rencontré par l'AFP dans ce paysage du bout du monde, entre champs, forêts et marais.

Derrière sa bonne humeur de façade, le dynamique quinquagénaire n'a pas vraiment le coeur à rire devant la situation désastreuse du système de santé.

La Roumanie a subi l'exode de plus de 15.000 médecins depuis son entrée dans l'Union européenne (UE) en 2007.

En quête de meilleurs revenus, ils sont partis vers l'ouest du continent, où ils ont été accueillis à bras ouverts pour combler le manque de personnel.

Une fuite des cerveaux faute de réforme d'envergure au niveau national: près de 60% des praticiens de moins de 35 ans veulent quitter le pays, selon un récent sondage réalisé par l'Ordre professionnel du secteur.

- 53 consultations en 4 heures -

Jorj Cristea a inauguré ce cabinet en février, après avoir longtemps résisté aux requêtes pressantes du maire. Car la vie est dure dans ces communes reculées, où le Danube peut geler pendant un mois l'hiver.

"Je l'ai supplié à genoux", raconte l'élu Timur Ciaus qui a mis à sa disposition un appartement et une salle de consultation.

Un jeune interne était censé l'aider mais il a jeté l'éponge au bout de deux semaines, sans explication.

Dans la salle d'attente, la queue est longue: au total, le médecin examinera 53 personnes en quatre heures.

"Vous voulez une ordonnance pour combien de temps? Un, deux, trois mois?", demande-t-il.

Si la plupart des quelque 2.000 habitants se réjouissent de sa venue une fois par semaine, d'autres jugent que ce n'est pas assez. "Nous nous sentons négligés par les autorités. Nous n'avons eu personne pendant sept mois!", s'emporte Florea Lisavencu.

Le lendemain, M. Cristea se prépare à une autre journée marathon à Tulcea, où il exerce le reste du temps.

Comme lui, 14 autres praticiens de la région se sont résolus à ouvrir une annexe médicale dans les confins isolés pour aider ceux qui sont privés d'accès aux soins.

- Zéro candidat -

"La situation est extrêmement grave", commente Daniel Coriu, président de l'Ordre des médecins.

Outre l'impact au quotidien sur la population locale, il évoque les possibles conséquences pour les touristes qui visitent le delta du Danube. "Si un accident survient, que ferons-nous ?", lance-t-il.

La Roumanie comptait 333 médecins pour 100.000 personnes en 2020, en-deçà de la moyenne de l'UE, selon les chiffres d'Eurostat. Surtout, la répartition est profondément inégale dans ce vaste pays de 19 millions d'habitants.

Plus de la moitié sont concentrés dans la capitale Bucarest et cinq des 41 provinces, ce qui laisse le reste du territoire démuni.

A l'hôpital de Tulcea, le directeur Tudor Nastasescu cherche désespérément à pourvoir 40 postes vacants mais "aucun candidat ne postule", déplore-t-il. Il songe à prospecter plus loin, voyant "le futur" dans l'Asie où "les gens travaillent dur pour peu".

Pour les opérations du coeur, l'attente peut aller jusqu'à six mois - il n'y a qu'un seul chirurgien.

Autre défi, le vieillissement de la profession. "Nous avons besoin de sang neuf", insiste Eugenia Vasile, responsable de l'organisme public chapeautant les médecins généralistes de la province, dont un quart ont plus de 67 ans.

"Je ne sais pas ce que nous pouvons leur offrir pour les convaincre de venir", soupire-t-elle. Des primes leur sont déjà promises et "la région est belle".

Mais rien n'y fait. Jorj Cristea égrène le nombre de fermetures: quatre l'an dernier, trois de plus cette année.

"Nous serons les derniers", conclut-il, mine sombre.

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