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En pleine reprise des liaisons avec l'Asie, la fermeture de l'espace aérien russe aux compagnies occidentales représente un coup dur pour celles-ci et une aubaine pour leurs concurrentes issues de pays non alignés sur les sanctions contre Moscou.
Pour les transporteurs sur liste noire russe, le casse-tête fait 31 fois la superficie de la France et s'étale sur 11 fuseaux horaires. Il signifie une perte de temps, d'argent et de compétitivité, en particulier pour les liaisons vers l'Asie.
Ainsi, les avions d'Air France, pour un Paris-Pékin, passent désormais au sud du Caucase puis par les républiques d'Asie centrale.
Distance: 9.800 km, contre quelque 8.400 par la région de Moscou, l'Oural et la Sibérie, selon des données relevées sur le site de suivi des vols Flightradar24. Soit deux heures de vol supplémentaires.
Entre le carburant et les frais de personnel, "ça coûte beaucoup plus cher", résume à l'AFP le directeur général d'Air France-KLM, Benjamin Smith: "C'est un gros sujet pour nous."
Un problème encore plus aigu pour Finnair, qui avait axé sa stratégie sur Helsinki comme plateforme de correspondance et acquis "un grand nombre de gros porteurs pour desservir des liaisons entre Asie, Europe et Amérique du Nord", explique à l'AFP Vik Krishnan, partenaire chez McKinsey et spécialiste de l'aérien.
- Désavantage concurrentiel -
La réciproque s'impose à la Russie, dont les vols entre Moscou et La Havane ou Caracas sont contraints de passer... au nord de la Norvège pour éviter les pays de l'UE ou de l'OTAN, zones interdites depuis l'invasion de l'Ukraine.
Mais ces liaisons restent anecdotiques, alors qu'en 2019, avant la pandémie, quelque 10 millions de touristes chinois s'étaient rendus en Europe.
Lorsque la Russie a fermé fin février 2022 son espace aérien aux compagnies de pays jugés hostiles, l'impact sur les survols avait été réduit. Conséquence du Covid-19, la fréquentation des liaisons aériennes entre l'Asie et le reste du monde plafonnait depuis deux ans sous 10% des niveaux de 2019.
Avec la récente réouverture de la Chine, la situation change. En avril, les volumes de passagers sur ces lignes ont triplé sur un an, selon l'Association internationale du transport aérien (Iata), qui tient son assemblée générale à Istanbul jusqu'à mardi.
Le sujet s'était auparavant retrouvé au centre de négociations entre Paris et Pékin sur la remontée en cadence de leurs liaisons aériennes, demandée par le secteur touristique français mais risquant de fragiliser la position d'Air France.
"Nous voulons nous assurer que les compagnies qui ont le droit de voler vers la France ou les Pays-Bas respectent les mêmes restrictions que nous", remarque M. Smith, évoquant le risque de voir son groupe "évincé du marché" sur ces lignes.
Mêmes tiraillements aux Etats-Unis, où le lobby des compagnies aériennes Airlines for America a mis en garde en mars contre une "situation de désavantage concurrentiel".
- L'Iata refuse de prendre parti -
"C'est un gros problème", confirme le directeur général de United Airlines, Scott Kirby, interrogé par l'AFP à Istanbul: sans passer par la Russie, sa compagnie ne peut plus relier quatre destinations sur les cinq qu'elle desservait en Inde.
En outre, "je m'inquiète du fait que si des avions survolent la Russie et qu'ils ont des Américains de renom à bord", une diversion sur un aéroport russe, pour raison mécanique ou médicale, "fasse peser un risque de crise", ajoute-t-il.
Un élément repris par le patron de Lufthansa, Carsten Spohr, mais pour minimiser les conséquences des deux heures supplémentaires de vol sur l'attractivité de sa compagnie: "Il y a aussi des clients qui ne veulent pas passer en ce moment dans l'espace aérien russe", souligne-t-il à Istanbul.
Parmi les pays auxquels l'espace aérien russe est toujours ouvert, outre la Chine, figurent les monarchies du Golfe aux puissantes compagnies comme Emirates et Qatar Airways, l'Egypte, l'Inde... et la Turquie, dont les fréquences avec Moscou ont bondi depuis le début de la guerre en Ukraine.
L'Iata, qui fédère des compagnies de ces pays et des transporteurs blacklistés par Moscou, refuse de prendre parti. "Nous voudrions que l'espace aérien russe soit ouvert à tout le monde", lance le directeur général de l'organisation, Willie Walsh.
"Nous préférerions voir tout le monde être en concurrence sur un pied d'égalité, mais c'est une décision politique, qui ne pourra être prise que quand la paix reviendra", conclut-il.