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La traque des "superyachts", signes les plus ostentatoires de la fabuleuse richesse des "oligarques", est devenue la vitrine des sanctions occidentales contre ces milliardaires russes réputés proches du Kremlin, mais ces fastueux navires s'avèrent difficiles à saisir.
"La majorité d'entre eux sont en Turquie et d'autres ont été repérés dans les Emirats", explique Alex Finley, autrice américaine et ancienne agente de la CIA, à l'origine du hashtag #YachtWatch. Quelques-uns ont aussi trouvé refuge aux Maldives et aux Seychelles.
Une poignée ont été immobilisés, et de rares bateaux ont été saisis par des Etats.
Parmi eux figure l'Amore Vero, d'une valeur estimée à plus de 100 millions d'euros, relié selon les douanes à Igor Setchine, patron du géant pétrolier russe Rosneft. La société Kazimo Trade & Invest Limited, dont le siège social est aux îles Vierges britanniques, conteste ce lien et se présente comme propriétaire.
Le gigantesque navire blanc, saisi par les douanes françaises en mars dernier, est amarré dans le port de la Ciotat (Bouches-du-Rhône), sous surveillance. A la suite d'une plainte des douanes, une information judiciaire est également en cours et pourrait conduire à sa vente aux enchères.
D'autres saisies ont été confirmées par le SuperYacht Times, comme celle du Amadea, lié au milliardaire et politicien Suleiman Kerimov, aux Fidji pour le compte des Etats-Unis. Une prise estimée à quelque 300 millions de dollars.
Le superyacht Phi (38 millions de livres ou 45 millions d'euros), a pour sa part été saisi à Londres, et le Tango à Majorque en Espagne.
Les Etats-Unis ont inculpé le mois dernier deux hommes soupçonnés d'avoir aidé Viktor Vekselberg, un proche allié de Poutine, à dissimuler qu'il était le propriétaire du Tango, estimé à 90 millions de dollars.
- "Participer à la chasse" -
Alex Finley a commencé la traque de ces navires de luxe en préparant un livre de fiction avec un personnage d'oligarque.
Avec l'invasion russe de l'Ukraine, les internautes se sont saisis du sujet, certains postant des photos des superyachts aperçus près de chez eux sous le hashtag #YachtWatch.
"Les gens étaient très intéressés parce que les yachts sont vraiment un symbole visuel de ce qui se passait. Ce sont des actifs très importants, hors de portée de la plupart des êtres humains normaux", explique-t-elle à l'AFP.
"C'est ensuite devenu un jeu dès que les sanctions sont tombées et que nous avons commencé à voir les yachts disparaître", poursuit-elle. "Tout le monde voulait participer à la chasse".
Ces bateaux sont équipés d'un système de localisation. A quelques rares occasions seulement, pour des raisons de sécurité, il est autorisé de l'éteindre, comme lorsque le bateau navigue dans des eaux infestées de pirates, précise Mme Finley.
La position de chaque navire est donc normalement consultable en temps réel sur les sites de trafic maritime comme MarineTraffic ou VesselFinder.
Certains ont ainsi disparu des radars avant de refaire surface dans les eaux de pays qui ne sanctionnent pas la Russie.
Autre problème: la liste même des yachts concernés par les sanctions est difficile à établir. Les navires évitent le pavillon russe, qui ferait d'eux des cibles.
D'autre part, ils appartiennent rarement directement aux oligarques, qui se servent de sociétés écran pour brouiller les pistes.
Ainsi, une fuite de documents partagés notamment à l'Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) a permis de déterminer que le milliardaire russe Roman Abramovitch, connu pour avoir été propriétaire du club de football de Chelsea, posséderait au moins 10 yachts en plus des 6 déjà connus du public.
- Qui paye ? -
A cela s'ajoute l'épineuse question des frais d'entretien des navires immobilisés ou saisis depuis des mois maintenant.
"Les coûts d'entretien, en règle générale, représentent environ 10% de la valeur du navire par an", avance Ralph Dazert, du SuperYacht Times. Des frais qui peuvent rapidement grimper pour certains grands yachts ou des bateaux plus anciens.
Car il s'agit bien-sûr de garder le navire en état de marche, en sécurité et en conformité avec les réglementations, tout en prenant en compte l'ensemble des coûts de fonctionnement, comme l'équipage, la nourriture et les boissons, le carburant, etc.
Pour les rares yachts saisis, les frais de maintenance incombent aux gouvernements qui ont pris possession des bateaux.
Dans le cas des yachts simplement immobilisés, il n'est "pas toujours évident de savoir qui paie", affirme Alex Finley. D'autant que "les équipages sont encore sur un grand nombre de ces bateaux" pour en assurer la maintenance.
Mais pour la traceuse de yacht, peu importe le coût, l'objectif étant de porter atteinte au style de vie des oligarques qui "soutiennent Poutine pour déstabiliser" l'Occident, mais en même temps "profitent des avantages de notre démocratie".