Partager:
Une frappe russe a tout pris à Oleksandre Remez: sa femme Natalia a été tuée et son appartement dans la ville ukrainienne d'Ouman ravagé.
Lui a survécu, car son réveil matinal l'a éloigné de la chambre à coucher.
Fin mai, un mois après le drame, debout devant les décombres de son immeuble, il dit vouloir une chose: que toutes les victimes de cette guerre soient comptabilisées.
"Nous avons besoin de connaître les chiffres, mais aussi les noms, car personne ne doit être oublié", plaide cet homme de 63 ans, entre plusieurs sanglots.
Mais compter les morts est un exercice difficile, alors que 20% du pays environ est occupé.
Selon un bilan à jour publié par les autorités ukrainiennes, au moins 10.368 civils ont été tués et 14.404 blessés depuis le début de l'invasion russe en février 2022.
Mais "ce sont uniquement les personnes connues", explique Oleg Gavrych, conseiller principal du chef du cabinet du président Volodymyr Zelensky.
"Nous estimons que le plus probable est que ce nombre est cinq fois plus élevé. Donc autour de 50.000" victimes, précise-t-il.
Les données sont peu ou prou conformes à celles avancées par l'ONU, qui décomptait 8.709 tués et 14.666 blessés à la fin avril tout en notant que le bilan réel était sans doute "considérablement plus élevé".
La Russie "doit être tenue responsable pour chaque" mort, réclame dans un cri du cœur Oleksandre Remez, devant le mémorial installé en souvenir des 23 personnes tuées, dont son épouse et quatre enfants, par la frappe russe qui le 28 avril a éventré son immeuble à Ouman.
- Obstacles -
Mais l'un des principaux obstacles pour le décompte des victimes est l'absence quasi-totale d'informations dans les zones occupées par la Russie, comme à Marioupol, où des dizaines de milliers de civils auraient trouvé la mort selon les autorités ukrainiennes lors du siège dévastateur au printemps 2022.
Selon des experts, même si les Ukrainiens parvenaient à reconquérir les territoires occupés, retrouver et compter les victimes risque d'être une tâche difficile, les Russes ayant pu cacher corps et preuves.
"Ils ont intérêt à cacher leurs crimes", observe ainsi Philip Verwimp, un expert en démographie dans les zones de conflit.
En outre, dans des zones ravagées par les combats, comme par exemple Bakhmout dans l'Est, il est souvent difficile d'établir qui a disparu, qui est mort et qui a fui.
Etablir un bilan complet pourrait donc prendre des années, comme l'a montré le conflit en Bosnie-Herzégovine dans les années 1990.
Une base de données publiée en 2007 a ainsi rassemblé les noms de près de 97.000 morts en Bosnie, un bilan deux fois moins élevé que le décompte utilisé jusque-là.
- "Plus jamais ça" -
Selon M. Verwimp, qui a participé à l'évaluation des données de ce "Livre des morts de Bosnie", il est crucial d'obtenir des données vérifiables.
Selon lui, "les Ukrainiens sont très rapides pour faire ça: dès qu'ils reprennent des villages, ils envoient des enquêteurs pour documenter les crimes de guerre russes", exhumer des corps et interroger les témoins.
Pour Jakub Bijak, un universitaire qui a travaillé avec l'ONU afin d'établir la liste des victimes de la guerre en Bosnie, le décompte précis des victimes est important pour le deuil des familles.
Mais "c'est politiquement (important aussi) d'établir le niveau des pertes qu'un pays a subi durant une guerre", ajoute-t-il.
Dès lors, depuis le début de l'invasion russe, les autorités ukrainiennes s'efforcent d'enregistrer tous les crimes de guerre russes présumés (meurtres de civils, agressions sexuelles, destructions d'habitations et de sites culturels...).
Elles tombent par contre dans le mutisme lorsqu'il s'agit d'évoquer le bilan de ses militaires tués.
Pour Oleksandre Remez, à ce stade, sa seule source de réconfort est de documenter la mort de sa femme Natalia.
"Nous devons tout savoir, faire tout ce qui est possible pour éviter que cela ne se reproduise", jure-t-il. "Les enfants, les bébés, pourquoi meurent-ils ?"