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Ukraine : à Kiev, "Smak" et son unité de tueurs de drones

Ils ont levé le poing en criant victoire. Depuis octobre, avec leur fusil-mitrailleur des années 1920, le colonel "Smak" et son unité de volontaires ukrainiens ont abattu trois drones explosifs lancés par les Russes sur Kiev.

"Le premier drone c'était en octobre. Il volait de jour, donc il était bien visible. Nous avons ouvert le feu lorsqu'il est entré dans notre secteur", raconte à l'AFP "Smak" -- de son nom de guerre --, colonel retraité des services de sécurité ukrainiens.

"Les deux autres volaient la nuit du Nouvel an. Nos collègues ont braqué des projecteurs (sur les drones) et avec des jumelles nocturnes thermiques, on les a repérés et abattus. J'ai moi-même tiré avec une mitrailleuse", poursuit l'homme de 49 ans, barbe grise et carrure de rugbyman.

Il commande un groupe de 80 volontaires civils -- retraités ou en activité --, qui se relaient par équipes de sept, jour et nuit. Chacun effectue douze heures de garde, en moyenne deux fois par semaine.

Dans le petit local au rez-de-chaussée d'un immeuble en construction où ils ont leur base, dans un faubourg de Kiev, c'est la relève. Il est 20H00, l'équipe montante de volontaires va passer la nuit là.

Si les sirènes d'alerte aérienne retentissent, ils filent en véhicules sur une colline proche, où ils se positionnent dans des postes de tir individuels.

Une dizaine de ces unités, attachées à la défense territoriale, couvrent ainsi le ciel de la capitale.

Leur cible : les drones explosifs "Shahed" de fabrication iranienne, lancés par les Russes lors d'attaques massives contre des sites énergétiques en Ukraine.

- Balles traçantes -

Outre des kalachnikovs, le groupe dispose de deux DP-27, un fusil-mitrailleur adopté par l'armée soviétique en 1927 et connu des adeptes du jeu vidéo à succès "Call of Duty", reconnaissable grâce à son grand chargeur circulaire fixé à plat sur le canon. Les balles sont traçantes, pour suivre leur trajectoire et corriger le tir.

"Nous avons beaucoup d'unités (à travers le pays) qui surveillent et donnent la position des drones", lancées depuis la Mer noire (Sud) ou la frontière russe (Est), explique Mykola, 50 ans, adjoint de l'unité, en évoquant un repérage "électronique mais aussi visuel".

Mais depuis octobre, l'Ukraine a renforcé ses capacités de défense aérienne. Les Occidentaux ont déjà fourni, ou vont livrer, à Kiev des systèmes modernes (NASAMS, IRIS-T, Aspide 2000, Hawk, Patriot...). Et les attaques russes sont devenues moins fréquentes ou massives.

"En ce moment nous n'avons pas beaucoup d'alertes, c'est une période plus ou moins calme", relève Mykola.

Dans le local de garde, il faut tuer le temps.

Mykola surveille sur sa tablette la carte du pays où le vol d'un drone peut apparaître en temps réel.

Sur son bureau, un talkie-walkie relié au commandement des unités crépite à chaque heure pile, pour le contrôle radio des équipes.

Assis sur un canapé défraîchi, "Valdemar", 19 ans, étudiant en sciences informatiques, s'applique à nettoyer un DP-27 qu'il vient de démonter.

A ses côtés, son père, surnommé "Customs", 56 ans, fait de même avec un fusil kalachnikov.

22H20 : "Deux Shahed détruits à Dnipro", dans le centre-est, lance Mykola en regardant sa tablette.

23H00 : début du couvre-feu, Kiev s'endort en silence.

La nuit avance, sans sirène d'alerte, ni drone en approche.

- "Le pire, c'est le brouillard" -

"Smak", passionné de figurines militaires, dont la collection affiche 5.000 pièces, termine une partie du jeu de stratégie "Blood Bowl", disputée en ligne contre son fils de 13 ans, provisoirement installé aux Pays-Bas.

Minuit : deux volontaires vont dormir dans une pièce meublée de trois lits sommaires et d'un vieux poêle à bois.

01H30 : "Smak" et "Customs" entament une discussion sur la meilleure cadence de tir pour abattre un drone. "Ca n'a pas de sens de tirer au coup par coup, il faut tirer par rafale", assène le colonel.

Passé 02H00, les paupières se ferment, les têtes tombent, les volontaires chaudement vêtus s'affalent sur les chaises ou les canapés.

Seul Mykola veille encore.

05H00 : fin du couvre-feu, le groupe se réveille, le café est brûlant. Dehors le froid est vif.

06H00 : la sirène d'alerte est restée muette, mais pour se dégourdir les jambes et ne pas perdre la main, une partie de l'équipe monte sur la colline avec les armes. Chacun s'installe à son poste, sans tirer.

Planté dans un profond trou creusé dans la terre, bonnet sur les oreilles, le jeune "Valdemar" pointe le long canon du DP-27 vers le sud.

"Le pire, c'est le brouillard", dit-il. "Quand on entend le drone voler mais qu'on ne peut pas le voir, et puis qu'on l'entend toucher une cible".

"Nous sommes la dernière ligne de défense", assure Mykola, jumelles autour du cou.

Mais "si on avait une sorte de dôme de fer (système de défense aérienne), comme en Israël, je serais heureux", ajoute-il.

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