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Au Salvador, avortement ou complication obstétrique considérés comme un crime

Lilian a été arrêtée à l'hôpital, Alba lors des funérailles de son bébé mort-né. Accusées d'avoir tué l'enfant qu'elles portaient, ces deux mères ont été condamnées à 30 ans de prison au Salvador, pays où avortements et complications obstétriques sont considérés comme un crime.

Lilian a passé huit ans derrière les barreaux et Alba dix. Mais leur libération, suite au réexamen de leur peine, n'est qu'une victoire incomplète pour les salvadoriennes dans un pays qui s'obstine à maintenir l'une des lois anti-avortement les plus sévères au monde.

"J'avais un bébé normal mais j'ai souffert d'une rupture utérine. J'ai été anesthésiée pour un curetage" après l'accouchement, a déclaré à l'AFP Lilian, qui ne souhaite partager que son prénom. Elle n'a appris la mort de sa petite fille qu'à son réveil.

C'était en novembre 2015, elle avait 20 ans, une première fille de deux ans, un compagnon, un travail, et la vie devant elle.

"J'ai d'abord été accusée de négligence" durant la grossesse "mais le parquet a requalifié en homicide aggravé et j'ai été condamnée. J'ai cru que ma vie était gâchée à jamais", raconte-t-elle à l'AFP dans un endroit de la capitale San Salvador loin des regards.

Il y a tout juste un an, elle a appris que son nouveau-né était mort d'une septicémie anténatale: "Si elle avait été traitée à temps, elle ne serait pas morte. Je n'aurais pas perdu tant d'années de ma vie en prison", se lamente-t-elle.

Avec l'aide du Collectif féministes et du Groupe citoyen pour la dépénalisation de l'avortement, Lilian a été libérée de prison en novembre dernier.

Lilian est la dernière à retrouver la liberté parmi les 73 Salvadoriennes condamnées à des peines de 30 à 50 ans de prison depuis une dizaine d'années.

Depuis une réforme de la loi en 1998, l'avortement est interdit sans exception, même en cas de viol ou de danger pour la mère, comme au Nicaragua, au Honduras, à Haïti et en République dominicaine.

Mais aucun pays n'est aussi sévère que le Salvador où l'avortement puni de deux à huit ans de prison peut-être requalifié en "homicide aggravé".

- "Le combat continue" -

Ces femmes placées sous les verrous ont toutes en commun d'être issues de zones rurales défavorisées où les services de santé sont précaires, explique Arturo Castellanos, membre du Groupe citoyen pour la dépénalisation de l'avortement.

Certaines ont même été violées, comme Alba Lorena Rodriguez. Elle avait 21 ans et déjà deux filles en bas âge quand en décembre 2009, enceinte de cinq mois, elle a ressenti de fortes douleurs et commencer à "accoucher seule" et s'est "évanouie", raconte-t-elle. Le bébé n'a pas survécu.

Le lendemain, un voisin a appelé la police et elle a été arrêtée en pleine veillée funèbre.

Elle dit n'avoir "pas eu de procès équitable" et personne pour la défendre. "J'ai eu l'impression que le monde s'écroulait autour de moi, parce que je savais que je n'allais plus revoir mes filles, que j'étais punie pour quelque chose que je n'avais pas fait".

Elle dénonce "une loi injuste" : "l'homme qui m'a violée était dehors avec sa famille et moi (...) en prison", dit Mme Rodriguez qui elle aussi a accepté de témoigner auprès de l'AFP mais à l'écart de son quartier.

"A leur sortie de prison, souvent sans liens familiaux, ces femmes sont stigmatisées", explique M. Castellanos qui plaide pour une "modification de la loi".

Mais le président Nayib Bukele, réélu pour début février pour cinq ans et qui dispose de la majorité au parlement, s'est clairement prononcé contre l'avortement.

Pour Lilian, "le plus dur" a été de n'avoir "pas vu grandir" sa fille confiée à ses grands-parents qu'elle n'a vue que deux fois en huit ans. "Personne ne peut me rendre le temps perdu. Je reconstruis le lien avec ma fille. Je voudrais tourner cette page de ma vie et repartir de zéro", dit-elle.

Malgré le temps passé elle se désole d'une "loi toujours la même" et souhaite que "le combat continue" pour que d'autres femmes ne subissent pas ce qu'elle a vécu.

Depuis 1998, 199 femmes ont été condamnées au Salvador et sept font encore aujourd'hui l'objet de poursuites.

En Amérique latine, l'avortement n'est légal qu'au Mexique, en Argentine, en Colombie, à Cuba et en Uruguay.

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