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L'arrivée de Geoffroy Lejeune à la tête du Journal du dimanche (JDD) illustre la percée de la droite de la droite dans les médias français, notamment portée par Vincent Bolloré, selon une stratégie de "bataille culturelle" dans laquelle la majorité cherche à se positionner.
Samedi, le zemmouriste Guillaume Peltier a pris le temps de rendre hommage à la journaliste Charlotte d'Ornellas, figure de la droite réactionnaire, démissionnaire de l'hebdomadaire Valeurs actuelles (VA) et dont l'arrivée est annoncée au JDD aux côtés de M. Lejeune, dont elle est une proche.
Derrière le clin d'œil, c'est une victoire que la mouvance d'extrême droite entend fêter: depuis des années, elle a théorisé la quête de "l'hégémonie culturelle", selon la formule d'Antonio Gramsci (1891-1937), qui doit précéder la conquête du pouvoir par les urnes.
Or, le philosophe italien - bien que marxiste - fait figure de maître à penser des cadres de Renconquête, Marion Maréchal en tête, elle dont plusieurs proches avaient lancé il y a six ans le mensuel L'Incorrect afin de faire infuser ses idées.
Mais c'est la prise de contrôle du groupe Canal+, (dont les chaînes C8 et iTélé, rebaptisée CNews) puis du groupe Lagardère (Europe 1, Paris Match et le JDD) par l'industriel Vincent Bolloré - un proche des milieux catholiques traditionalistes - qui a donné une ampleur tout autre à ces relais médiatiques.
En parallèle, Valeurs actuelles, un hebdomadaire vieux de plus de cinquante ans, a retrouvé une seconde jeunesse au mitan des années 2010 en adoptant une ligne éditoriale proche de l'extrême droite avec Geoffroy Lejeune à sa tête.
- Mauvais rapports avec le RN -
Paradoxalement, cet écosystème médiatique n'a pas semblé se mettre au service de la championne de la droite extrême française, Marine Le Pen, mais a fait montre de toutes les attentions pour Eric Zemmour, vedette d'une quotidienne sur CNews avant de se lancer dans la course à la présidentielle 2022 et régulièrement en couverture de l'hebdomadaire.
"M. Lejeune a soutenu historiquement la droite très conservatrice avec François-Xavier Bellamy (actuellement vice-président de LR), puis M. Zemmour d'une manière très forte, donc ce n'est pas un soutien du Rassemblent national", a rappelé dimanche sur France Inter le député RN Jean-Philippe Tanguy, alors que les rapports étaient notoirement exécrables entre les lepénistes et VA lors de la dernière campagne présidentielle.
Idem, du reste, avec CNews. Pourtant, "sincèrement, je ne sais pas si M. Bolloré est un soutien d'Eric Zemmour", a ajouté M. Tanguy, relayant l'idée partagée dans les milieux politiques et médiatiques que, davantage que la victoire de l'extrême droite, l'industriel souhaitait l'affaiblir en encourageant une candidature Zemmour contre Le Pen afin de faire élire un candidat de droite.
- "Attaques haineuses" -
Face à ces médias conservateurs, voire identitaires, la macronie s'est elle-même interrogée sur l'attitude à adopter.
La ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, s'était attaquée au printemps à C8 et CNews, en évoquant la possibilité de retirer leurs fréquences après plusieurs rappels à l'ordre de l'Arcom, l'autorité de régulation de la communication. Dimanche, elle s'est "alarmée" pour "nos valeurs républicaines" après la nomination de Geoffroy Lejeune à la tête du JDD.
Plusieurs membres du gouvernement refusent par ailleurs toujours les invitations du groupe Bolloré, Eric Dupond-Moretti en tête. "Quand il était à Valeurs actuelles, Geoffroy Lejeune voulait absolument une interview en disant qu'il était comme nous: de droite et libéral", raconte par ailleurs l'ancienne conseillère d'un ministre, se souvenant lui avoir alors "ri au nez".
Dans leur communiqué protestant contre l'arrivée de M. Lejeune à la tête de la rédaction, les journalistes du JDD ont par ailleurs pointé des "attaques haineuses et de fausses informations" publiées dans VA sous l'autorité du trentenaire.
Pourtant, nombre de macronistes n'hésitent plus à investir les plateaux de CNews et les colonnes de VA, encouragés par... Emmanuel Macron lui-même, soucieux d'aller "sur le terrain de l'adversaire" et qui n'avait pas hésité à donner un entretien à l'hebdomadaire.
Avec les lepénistes, les relations se sont également réchauffées après la déroute d'Eric Zemmour à la présidentielle et aux législatives. Et ces médias droitiers font désormais preuve d'égards pour le nouveau numéro un du RN, Jordan Bardella, plus encore que pour Marine Le Pen.