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La cour d'appel de Paris a rouvert mardi l'enquête "pas complète" sur l'éborgnement d'un "gilet jaune", David Breidenstein, par un tir de LBD en mars 2019 à Paris, en infirmant le non-lieu prononcé en juillet pour la policière soupçonnée d'en être l'autrice.
Sollicité par l'AFP, une source judiciaire a indiqué que la chambre de l'instruction avait "renvoyé le dossier au juge d'instruction".
"Je suis content, c'est très bien", a réagi David Breindestein, 43 ans, joint par l'AFP.
La décision de la cour d'appel contredit les réquisitions du parquet général, qui lors d'une audience le 17 janvier, en présence de M. Breidenstein et d'un rassemblement de "gilets jaunes" mutilés, avait requis la confirmation du non-lieu.
Le 16 mars 2019, lors d'une manifestation sur les Champs-Élysées, Marine V., 29 ans, policière de la BAC de Paris, avait tiré à 15 reprises avec son LBD, notamment sur le lieu et au moment de la blessure de ce manifestant "gilet jaune".
Pendant l'enquête, elle s'est dite "sûre" de n'avoir pas touché M. Breidenstein puisque, a-t-elle assuré, "je n'ai pas tiré dans la partie supérieure du corps et il n'était pas en train de nous jeter un projectile".
Pour la juge signataire du non-lieu en juillet, l'enquête établissait que "Marine V. devait être considérée comme l'auteur du tir" de LBD en cause.
Mais venait ensuite la question de la légalité du tir.
Au moment de la blessure, "les policiers présents se trouvaient exposés à des violences, menaces et voies de fait qui justifient l'usage des LBD", tranchait la juge.
En audition, David Breidenstein avait déclaré qu'il marchait alors tranquillement sur les Champs-Élysées, éloigné des personnes violentes, et ne représentait aucun danger.
- Emploi illégal du LBD ? -
Son avocat, Me Arié Alimi, a contesté l'emploi régulier du LBD par Marine V., notamment parce que son tir, via cette arme très précise, avait atteint l'œil de son client alors qu'il est interdit de viser au-dessus du torse.
"S'il est vraisemblable de penser que (M. Breidenstein) n'était pas la cible, la seule circonstance qu'il n'ait pas atteint la personne visée ne suffit pas à démontrer" un emploi illégal du LBD, avait jugé la magistrate.
La cour d'appel, selon son arrêt dont l'AFP a eu connaissance mardi, a elle estimé que l'enquête n'était "en l'état pas complète".
"Avant d'envisager la mise en examen" de la policière, les magistrats ont pointé notamment l'absence d'une audition "précise" d'un témoin qui a filmé la scène et qui a déclaré au téléphone à un enquêteur qu'il était visé par le tir, mais aussi des investigations lacunaires sur les vidéos tournées par la caméra du LBD, qui selon un commandant de police ont "certainement dû être effacées".
La cour demande également "de faire procéder aux vérifications de trajectoires de tirs, de distances entre les parties".
"Cette décision est précieuse pour David, pour tous les +gilets jaunes+ et toutes les victimes de violences. Elle porte sur l'appréciation des faits justifiant l'usage de la violence. Elle montre le chemin pour les nombreuses juridictions qui en sont saisies", s'est félicité Me Alimi.
Sollicité, Me Laurent-Franck Liénard, avocat de Marine V., n'a pas souhaité commenter.
Entre novembre 2018 et novembre 2019, 2.500 manifestants et 1.800 membres des forces de l'ordre avaient été blessés dans les manifestations de "gilets jaunes", selon le décompte d'alors du ministère de l'Intérieur.
Le journaliste David Dufresne, auteur de la plateforme "Allô Place Beauvau", avait comptabilisé 30 manifestants éborgnés.
Dans un dossier sur ce sujet, l'AFP en avait interrogé une dizaine en mars puis en novembre 2019, dont David Breidenstein, qui indiquait alors vivre chez lui "enfermé, avec les volets fermés". Il a depuis repris le travail.
Un CRS qui avait comparu en décembre aux assises pour avoir éborgné un syndicaliste, Laurent Théron, lors d'une manifestation de 2016 à Paris a été définitivement acquitté après la décision du parquet général de ne pas faire appel du verdict.