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Le gouvernement a obtenu jeudi l'adoption d'un nouveau tour de vis législatif, cette fois sur l'expulsion des étrangers "délinquants", lors de l'examen de son projet de loi immigration qui se durcit jour après jour au grand dam des associations, inquiètes d'une "dérive" du Sénat.
Au quatrième jour des débats, la chambre haute s'est penchée sur deux articles qui prévoient "l'éloignement d'étrangers constituant une menace grave pour l'ordre public", emblématiques de la jambe répressive du texte.
Ces articles 9 et 10 constituent le cœur du projet gouvernemental, "bien plus importants que les autres dispositions qu'on a évoquées pendant des heures et des heures", a estimé le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin en référence à la mesure-phare du volet intégration, la régularisation des travailleurs sans-papiers dans les métiers en tension adoptée dans une version durcie la veille.
Les dispositions votées jeudi prévoient en substance de lever l'essentiel des "protections" contre l'expulsion dont bénéficient certains immigrés (à l'exception des mineurs), dont ceux arrivés en France avant 13 ans.
Les dispositions visent les personnes qui ont fait l'objet d'une condamnation définitive pour des crimes ou délits punis de cinq ans ou plus d'emprisonnement, ou lorsqu'il s'agit de violences intra-familiales. Des mesures qui peuvent être assorties d'une interdiction du territoire français pour dix ans.
Une "grande avancée", s'est félicité Gérald Darmanin sur X (ex-Twitter) après l'adoption grâce aux voix de la majorité sénatoriale de droite et du centre.
"Nous sommes le seul pays à avoir mis ces protections dans toute l'Union européenne", a fait valoir plus tôt le ministre de l'Intérieur, estimant que les lever va permettre l'expulsion d'environ 4.000 personnes supplémentaires par an.
"Le fait d'être resté quelques années sur notre territoire ne justifie pas" une forme d'immunité, a-t-il ajouté.
- "Sidération" -
Si ces mesures ne sont pas retoquées par l'Assemblée nationale, qui doit encore se prononcer sur le projet de loi à partir du 11 décembre, elles permettront également de retirer son titre de séjour à une personne qui "ne respecte pas les valeurs de la République", s'est encore félicité M. Darmanin.
"Les exceptions ont tué la règle" de l'expulsion d'un étranger condamné en justice et "ces exceptions menacent désormais les Français", a pour sa part déclaré le patron des sénateurs LR Bruno Retailleau, avant de voter ces mesures.
Les voix et les protestations de la gauche n'ont pas pesé.
Le sénateur écologiste Guy Benarroche a fustigé en vain les "articles les plus dangereux" de ce projet de loi, qui marquent "le retour en force de la double peine" pour des étrangers condamnés qui se verront coup sur coup incarcérés puis expulsés.
Depuis lundi, le Sénat a déjà imprimé une coloration très droitière au texte gouvernemental, en adoptant ou durcissant plusieurs mesures qui sont des marqueurs répressifs: suppression de l'aide médicale d’État, du droit du sol, resserrement du regroupement familial, quotas migratoires, rétablissement du délit de séjour irrégulier...
Tard jeudi, les sénateurs ont aussi adopté une mesure permettant de restreindre la délivrance des visas de long séjour à des ressortissants de pays qui ne délivreraient pas suffisamment de "laissez-passer consulaires", nécessaires pour appliquer les expulsions. La France pourra également revoir le montant de l'aide au développement accordée à ces pays.
Un durcissement tous azimut qui suscite la "sidération" et la "vive inquiétude" du tissu associatif.
Il faut "stopper la dérive engagée au Sénat", notamment à l'occasion du passage du texte à l'Assemblée nationale, a réclamé jeudi la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), qui regroupe 870 associations et organismes qui agissent dans le domaine social et de l'aide aux migrants.
"À l'Assemblée, nous rétablirons le texte ambitieux de l'exécutif (...) y compris le volet sur les régularisations", a promis mercredi le député Renaissance Sacha Houlié, incarnation du volet social de la réforme.
Au Palais Bourbon, où l'aile gauche de la majorité présidentielle a plus de poids qu'au Sénat, Gérald Darmanin "ne souhaite pas" que la réforme de l'aide médicale d’État adoptée il y a deux jours aille à son terme, a-t-il déclaré jeudi.
A l'issue de l'examen, a ajouté le ministre de l'Intérieur, "j'espère que nous trouverons un compromis, pour la sécurité des Français".