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Pour la commission d'enquête parlementaire sur l'assaut du Capitole le 6 janvier 2021, cela ne fait pas de doute: Donald Trump a enfreint la loi et a incité à l'insurrection. Mais si ses membres pensent avoir présenté des éléments accablants, porter l'affaire devant un tribunal - et s'assurer qu'elle soit en béton - est une autre paire de manches.
Le groupe d'élus a résumé ses 18 mois d'investigation lundi lors d'une dernière réunion publique, pendant laquelle sa vice-présidente, la républicaine Liz Cheney, a déclaré que l'ex-chef d'Etat était "inapte" à occuper de nouvelles fonctions publiques.
D'après la commission, les preuves rassemblées ont "conduit à une conclusion claire et primordiale: la cause centrale du 6 janvier était un seul homme, l'ancien président Donald Trump, que beaucoup d'autres ont suivi".
Le panel a voté à l'unanimité pour appeler le ministère de la Justice, dirigé par l'"Attorney General" Merrick Garland, à poursuivre l'ex-magnat, recommandant quatre chefs d'inculpation: appel à l'insurrection, complot à l'encontre de l'Etat américain, entrave à une procédure officielle (de certification d'un scrutin présidentiel) et fausses déclarations.
Donald Trump est accusé d'avoir passé des semaines à mentir à ses soutiens en affirmant que la présidentielle de 2020 lui avait été volée, et d'avoir embrasé une foule de ses partisans à Washington avant l'assaut puis de n'avoir rien fait pour stopper la violence.
Des experts juridiques ont qualifié le dossier présenté par la commission de convaincant, tout en avertissant que les règles s'appliquant aux procureurs dans le cadre d'une affaire pénale étaient plus contraignantes.
- A sens unique -
"Il existe tout un ensemble de règles fédérales sur les preuves, qui encadrent quels témoignages un jury peut entendre", écrit ainsi l'ancienne procureure Joyce Vance dans une analyse des travaux de la commission.
"Le ministère de la Justice est tenu d'évaluer soigneusement les preuves pour des questions telles que les propos rapportés, la pertinence et le préjudice subi afin de déterminer si les preuves recevables étant à disposition sont suffisantes."
Le républicain n'a jamais donné sa version des faits en détail, se contentant de dénoncer une chasse aux sorcières politique et de s'en prendre au panel.
Des analystes soulignent que la présentation de la commission était à sens unique et qu'elle n'a pas évoqué les possibles lignes de défense de M. Trump, comme le fait que son discours pourrait être protégé par le Premier amendement de la Constitution, relatif à la liberté d'expression.
Même le vice-président de Donald Trump, Mike Pence, honni par une partie des trumpistes pour avoir refusé d'aider à annuler l'élection - et qui a accusé le milliardaire de l'avoir "mis en danger" le 6 janvier 2021 - le défend aujourd'hui en arguant qu'avoir écouté les mauvais conseils d'avocats n'est pas un crime.
"Surtout, Trump avait tendance à opérer de manière insaisissable – confiant des tâches à des subordonnés, évitant la confrontation, évitant les e-mails. Les preuves recevables pourraient donc être plus difficiles à trouver que les partisans de la commission du 6 janvier ne s'y attendent", a dit à l'AFP l'avocat et ancien procureur adjoint au ministère de la Justice, Kevin O'Brien.
M. O'Brien pense que le ministre de la Justice Merrick Garland avancera avec énormément de prudence, et ne s'attend pas à voir une décision tomber sur une inculpation de sitôt.
Joyce Vance dit de son côté que des poursuites sont loin d'être "automatiques".
- Aller plus loin? -
Pour Gerard Filitti, du Lawfare Project, si l'affaire va devant un tribunal, le résultat le plus probable serait un jury divisé, car beaucoup d'Américains croient que Donald Trump pensait vraiment être victime d'une injustice.
"Le ministère n'inculpera probablement que s'il se sent sûr d'obtenir une condamnation", a-t-il dit à l'AFP. "Et davantage de preuves détaillées sont nécessaires sur ce que Trump savait, et quand il l'a su, que ce qui a été rendu public par la commission".
Le chef de la commission, Bennie Thompson, a reconnu la différence d'exigence en matière de preuves entre une enquête parlementaire et une investigation pénale, qualifiant les travaux du panel de "feuille de route" pour poursuivre M. Trump.
Le ministère n'est même pas tenu d'examiner les éléments de la commission. Mais plusieurs scénarios sont possibles.
Les procureurs pourraient par exemple aller beaucoup plus loin que la commission, en utilisant les pouvoirs que les élus n'ont pas pour imposer des assignations à comparaître devant des grands jurys et obtenir des preuves que le panel a identifiées mais n'a pas réussi à développer.