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Sa sixième tentative sera-t-elle la bonne? L'infatigable et controversé Atiku Abubakar, ancien vice-président du Nigeria (1999-2007), se présente à nouveau à l'élection présidentielle du pays le plus peuplé d'Afrique, espérant conjurer trois décennies d'essais infructueux.
"Mon raisonnement est simple: vais-je laisser un meilleur pays à mes enfants? C'est l'une des raisons de ma persévérance", a récemment expliqué le candidat du Parti démocratique populaire (PDP), principal parti d'opposition.
Issu d'une famille pauvre de l'État d'Adamawa (nord-est), "Atiku" - comme l'appellent les Nigérians - est musulman et peul comme le président sortant Muhammadu Buhari.
Opposé à Bola Tinubu, candidat du parti au pouvoir (APC), et à l'outsider Peter Obi (LP, travailliste), M. Abubakar est l'un des favoris. Seul parmi les trois à être originaire du Nord, il espère faire le plein de voix dans l'immense bassin d'électeurs de cette région stratégique.
Mais des dissensions dans son parti et l'ascension de M. Obi pourraient être des obstacles notamment dans le sud-est, bastion traditionnel du PDP.
Les récentes pénuries (billets et essence) changent également la donne: les électeurs pourraient se tourner vers "Atiku" pour sanctionner l'APC, après huit ans au pouvoir marqués par une hausse spectaculaire de l'insécurité et une grave crise économique.
- Multimillionnaire -
A 76 ans, ce richissime homme d'affaires souvent accusé de corruption est le doyen des prétendants. Ses principaux adversaires, MM. Tinubu et Obi, ont respectivement 70 et 61 ans.
Dans un pays où la santé des candidats est un sujet sensible, M. Abubakar, qui a deux femmes et une trentaine d'enfants, a balayé les critiques sur son âge avancé, assurant disposer de "l'énergie mentale et physique" nécessaire.
Reste que pour une bonne partie de l'opinion, le fossé se creuse entre une jeunesse avide de changement - 60% des Nigérians ont moins de 25 ans - et l'élite vieillissante qu'incarne le candidat du PDP.
Décrit comme un opportuniste, il a brigué en vain la présidence à cinq reprises depuis 1993, changeant de parti politique, renforçant sa réputation d'homme prêt à tout pour la magistrature suprême.
Il a débuté dans la fonction publique avant de rejoindre le secteur privé et la politique.
En 1999, il devient le vice-président d'Olusegun Obasanjo. Durant ses deux mandats, M. Abubakar supervise notamment la privatisation de centaines d'entreprises publiques déficitaires, corrompues ou mal gérées.
Beaucoup ont accusé "Atiku" d'avoir profité de son ascension pour faire fructifier ses affaires, particulièrement lorsqu'il était numéro deux des douanes, en même temps qu'il dirigeait Intels, l'une des plus grosses sociétés de logistique pétrolière du pays. Accusations qu'il nie fermement.
"Atiku" est devenu entre-temps un homme d'affaires multimillionnaire qui a notamment investi dans l'import-export, le pétrole, l'agriculture, les télécommunications et la santé.
- "Chat à neuf vies" -
"De nombreuses choses ont été dites sur lui, ce qui rend difficile pour certains d'avoir foi en lui", explique à l'AFP Olutayo Adesina, professeur d'histoire à l'Université d'Ibadan (sud-ouest).
Son nom est cité dans une enquête du Sénat américain sur un blanchiment d'argent. Entre 2000 et 2008, l'une de ses épouses, qui possède la nationalité américaine, aurait "aidé son mari à rapatrier plus de 40 millions de dollars de fonds suspects aux Etats-Unis via des comptes offshore", peut-on lire dans un rapport de 2010.
Le couple est également accusé d'avoir reçu plus de 2 millions de dollars de commission pour un contrat avec la multinationale Siemens qui a depuis plaidé coupable dans cette affaire.
Après sa cinquième défaite à la présidentielle en 2019 face à M. Buhari, "personne ne pensait qu'il se représenterait. C'est un chat à neuf vies", insiste M. Adesina.
Comme les autres candidats, M. Abubakar a promis de s'attaquer à l'insécurité et à la crise économique dans un pays meurtri par les violences de groupes criminels, jihadistes et séparatistes.
Il a un profil plus libéral "qui prête attention aux entreprises, qui desserre l'étau sur le centre et essaie de stimuler les autres régions", relève le journaliste Dulue Mbachu.
Et si M. Abubakar perdait encore, lui qui avait contesté les résultats en 2019 ? "Alors, ce sera mon destin. Je ne serai pas le premier perdant ni le dernier", répond l'intéressé.