Partager:
La radio de bord du Titan, le bateau intercepteur de la police aux frontières (PAF), grésille: un écho suspect a été repéré par l'opérateur radar. Peut-être un kwassa kwassa, ces barques à moteur utilisées par les migrants venus des Comores pour rallier Mayotte.
A 38 nœuds (un peu plus de 70km/h), le Titan file vers la zone. La chasse dure quelques minutes avant que le chef de bord, un brigadier-chef souhaitant garder l'anonymat, donne l'ordre d'abandonner.
"C'est un pêcheur. Ca sert à rien qu'on se fasse +tabasser+ pendant des heures pour un pêcheur".
Au large de Mayotte, au sein d'un lagon de 1.100 km2 et de 4.900 km2 de mer territoriale, les conditions ne sont pas réunies ce jour-là.
"Ils ont la houle et le vent avec eux. Pour nous, ça tape mais pour eux c'est parfait", résume le policier. Comme, en plus, l'avion de surveillance aérienne ne vole pas aujourd'hui, la traque s'annonce ardue.
Chaque année, plusieurs milliers de migrants principalement originaires des Comores, dont l'île d'Anjouan n'est qu'à 70 km, tentent la traversée.
En 2023, 661 embarcations ont été interceptées dans les eaux territoriales de Mayotte, a déclaré à l'AFP Frédéric Sautron, le sous-préfet en charge de la lutte contre l'immigration sur l'île précisant que quelque 8.600 passagers ont été interpellés.
"Notre efficacité ne cesse d'être croissante", assure-t-il, évoquant notamment la mise en service d'un avion de détection.
- Radars obsolètes -
Le Titan se met en panne, dérivant en attendant une nouvelle cible. Les fonctionnaires de l'unité nautique de la PAF en profitent pour décrire le mode d'action de passeurs qu'ils ont appris à bien connaître.
Ils préfèrent effectuer la traversée de nuit ou au petit matin, par mauvais temps idéalement car la houle les rend plus difficilement repérables.
Deux hors-bord de la PAF sont constamment sur l'eau, de jour comme de nuit. "La nuit, c'est totalement différent. On va entendre, sentir le kwassa avant de le voir: une odeur d'essence, un bruit de moteur...".
Dans des conditions idéales, la traversée prend 4 ou 5 heures. Mais pour les kwassas, des canots non conçus pour la haute mer, naviguant au ras de l'eau, elle peut durer jusqu'à 24 heures faits de détour pour éviter les moyens de détection de la PAF et de la gendarmerie, si bien que des passagers sont parfois retrouvés en hypothermie malgré une eau à 30°C.
Autre méthode: les "raids" d'une dizaine d'embarcations dans de multiples directions, après un regroupement dans une zone d'attente hors des eaux territoriales françaises.
"Ils vont aussi s'adapter selon la météo. C'est le jeu du chat et de la souris. Ils ont des "choufs" (guetteurs, ndlr) qui nous voient partir, ils sont prévenus", explique le brigadier-chef.
Depuis quelques jours, le Champlain, bâtiment des Forces armées dans la zone sud de l'océan Indien (FAZSOI), mouille dans le nord de l'archipel. "Il fait l'épouvantail. On peut être sûr que les kwassa ne passeront pas par là aujourd'hui", glisse un policier.
Bien vu: quand la radio grésille de nouveau, c'est pour un kwassa surpris en train de débarquer ses passagers sur une plage du sud de l'île. "Pour nous, c'est trop loin", grimace le brigadier-chef.
"Si on avait eu un radar nouvelle génération, il aurait été repéré bien plus tôt", enchaine son collègue
Les radars sont obsolètes selon plusieurs observateurs, ils font partie des revendications des policiers, qui aimeraient aussi des effectifs renforcés, des navires mieux équipés et des "bases avancées" en plusieurs points de l'île pour rendre les recherches plus efficaces.
Fin janvier, dans un courrier au député mahorais Mansour Kamardine, Gérald Darmanin a annoncé le remplacement des quatre radars de l'île "par des matériels plus performants", sans donner de date.
- Morts inconnus -
Autre avantage de repérer les kwassa en haute mer concerne la sécurité. "Dès qu'ils voient la côte, les passeurs prennent tous les risques", explique le brigadier-chef.
La traversée est dangereuse mais à la différence de la Méditerranée ou de la mer du Nord, aucun décompte des décès ou des naufrages n’existe.
"Un naufrage par mois est su", estime le brigadier-chef: "Des familles t'appellent: +Est-ce que vous avez intercepté un kwassa tel jour? Il est parti à telle heure, on n'a plus de nouvelles. On ne les retrouve jamais..."
Dans la nuit de lundi à mardi, trois nouveaux kwassa ont été interceptés. A leur bord se trouve 38 passagers comoriens immédiatement conduits au centre de rétention de l'archipel pour être expulsés.