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Au Sénégal, les jeunes veulent voter à tout prix

Mohamed Al Amine Touré, marchand ambulant de 23 ans à Dakar, est toujours abattu par le report de la présidentielle du 25 février au Sénégal. La nouvelle a eu l'effet d'une bombe pour lui qui s'était déjà préparé à aller voter.

Avec quelques-uns de ses camarades, il s'affaire autour d’un étal improvisé de friperies, sur la principale route du grand marché populaire de Colobane à Dakar.

"Le 25 février était un rendez-vous important pour nous: le Sénégal est une démocratie et jamais une élection présidentielle n’a été reportée, ni sous les présidences de (Léopold Sédar) Senghor, Abdou Diouf ou Abdoulaye Wade. Seul Macky Sall a osé le faire", regrette-t-il, assurant qu’il avait soigneusement rangé sa carte d’électeur pour ne pas la perdre ou la froisser en vue du scrutin.

Comme beaucoup de jeunes Sénégalais interrogés par l’AFP, il tient à la démocratie et veut à tout prix pouvoir voter dans une Afrique de l'ouest où se sont propagés depuis 2020 les coups d'Etat militaires au Mali, en Guinée, au Burkina et au Niger. Dans tous ces pays, les prochaines échéances électorales sont incertaines.

Mohamed Al Amine Touré fait partie de la masse de ces jeunes qui devaient aller aux urnes pour la première fois le 25 février. Leur participation et leur vote sont considérés comme déterminants.

Les moins de 19 ans représentent plus de la moitié de la population: les jeunes sont les plus durement touchés par le chômage difficilement quantifiable - 19% selon l'Agence de la statistique - la pauvreté qui touche 38% de la population, l'inflation et la difficulté à se loger...

Une majorité de la jeunesse est acquise à la cause de l’opposant emprisonné Ousmane Sonko en qui elle plaçait toutes ses espérances.

"Il était notre seul espoir, le seul qui pouvait changer nos vies. Lui n’est pas comme les autres politiciens, ce qui l’intéresse, c’est le peuple, les jeunes", affirme Mame Abdou, 19 ans.

En l’absence de M. Sonko, disqualifié par le Conseil constitutionnel, les jeunes comptaient voter pour le numéro deux du parti dissous Pastef, Bassirou Diomaye Faye, lui aussi détenu, mais qualifié par le Conseil.

Le report de l’élection au 15 décembre et l'extension du mandat du président Macky Sall ont provoqué l’une des plus graves crises politiques des dernières décennies dans ce pays volontiers salué pour sa stabilité et ses pratiques démocratiques.

"Comme Diouf en 2000, comme Wade en 2012, Sall pourrait bien par ses manoeuvres et la résistance qu'elles suscitent, contribuer malgré lui à la consolidation (jamais achevée nulle part) de la democratie au Sénégal" a écrit sur X Vincent Foucher, expert de l'Afrique de l'ouest.

- Un putsch pour la "stabilité" ? -

La gravité de la crise fait craindre un nouvel épisode de violences comme le pays en a connu en mars 2021 et juin 2023 autour du sort de M. Sonko.

Vendredi, le marché de Colobane a pris des allures de champ de bataille entre forces de l’ordre et opposants au report. Il y a eu trois morts dans tout le pays. Tous les jeunes interrogés ce jour-là à Colobane réclamaient de pouvoir voter.

Beaucoup de commerçants qui vivent au jour le jour assurent que leur chiffre d’affaires a baissé depuis le début des tensions.

Pour Serigne Faye, 23 ans, cette situation ne peut guère perdurer. Il plaide pour l’arrivée des militaires au pouvoir. "Ils sont nés dans ce pays, ils sont nos frères, nos amis, nos parents, ils pourront vite changer la situation et apporter de la stabilité au pays", argue-t-il.

"Tu ne sais pas ce que tu dis, nous ne voulons pas de coup d’Etat. On a vu ce qui se passe au Mali ou en Guinée, on peut être sûrs que si les militaires prenaient le pouvoir, il n’y aura pas d’élection d’ici longtemps", rétorque son collègue Ameth. Lui espère que le président Sall reviendra sur sa décision et que le scrutin se tiendra au plus tard fin mars, car lui aussi appelle au changement.

La réponse des autorités aux troubles des derniers mois, les incarcérations par centaines, le besoin de justice reviennent régulièrement dans les propos.

Souvent la conversation dérive vers ces dizaines de milliers de Sénégalais qui tentent sur des pirogues et au péril de leur vie de gagner l'Europe, faute de perspectives, avec ou sans diplôme.

"Nous avons tout ici, la mer, du soleil, du pétrole, du gaz, on doit pouvoir réussir dans notre pays, on ne demande que ça. C’est la moindre des choses n’est-ce pas ?", sourit Mohamed Al Amine qui s’est mis en tenue de sport pour pouvoir courir en cas de nouvelles manifestations.

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