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Au tribunal de Paris, le box vide du suicide en prison

Paul (prénom modifié) devait être jugé en janvier mais le tribunal avait reporté l'audience, l'envoyant en prison dans l'attente d'une expertise psychiatrique. Mais le jour de son procès à la mi-février, le box était vide: le jeune homme s'est suicidé en prison.

Dans la salle des comparutions immédiates du tribunal judiciaire de Paris ce début d'après-midi, on appelle son affaire. "Absent, mais représenté", annonce l'huissier.

La présidente lit le maigre dossier qu'elle a sous les yeux. Monsieur avait 33 ans, il avait comparu ici le 10 janvier, pour des menaces de mort, violences avec armes, sous stupéfiant, énumère-t-elle.

"Au regard de son état de santé mental préoccupant", elle avait demandé une expertise psychiatrique avant qu'il ne soit jugé. Et décidé de le placer en détention provisoire, vu son casier judiciaire chargé et sa situation "très précaire".

"Malheureusement le tribunal a été informé du décès en détention de Monsieur, et ne peut que constater l'extinction de l'action publique", conclut la présidente.

Elle ne prononce pas le mot "suicide", ce seront les avocats de Paul qui le feront.

Ils avaient prévenu le tribunal avant l'audience qu'ils voudraient dire un mot. D'accord mais vite, les avait-on prié: c'est une audience de comparution immédiate ici, pas une "tribune politique".

A la barre, Mes Mathias Darmon et Hamza Sebti évoquent le choc et la douleur de la famille de Paul, ses parents, son frère et sa soeur, ses neveux. Ils ne reprochent pas au tribunal de l'avoir envoyé en détention. "Le problème dans ce dossier est avant", dit Me Darmon.

Début janvier, Paul est hébergé dans une structure de l'association Les enfants du Canal, qui lutte contre l'exclusion. Cela fait deux ans qu'il est accueilli par l'association, quatre fois qu'on le change de logement parce qu'il pose problème partout.

Paul entre dans des délires olfactifs, il est obnubilé par des odeurs de cuisine qui n'existent pas. Il harcèle les autres résidents qui cuisineraient dans leurs chambres - c'est faux -, y traîne les membres de l'association pour le prouver - "Venez sentir !".

- Solution radicale -

Le 7 janvier, il escalade, passe par les toits, balance un jet de bombe lacrymogène par la fenêtre de la chambre d'une résidente qui "cuisine". Puis il revient dans le bâtiment et force la porte, frappe la résidente à la tête, avant d'agresser l'agente qui s'interpose tout en la menaçant de "la crever où qu'elle aille".

Elle appelle la police et l'association décide de porter plainte, explique par téléphone sa directrice, Samira El Alaoui. "C'est quelqu'un qui avait besoin d'être soigné mais qui était dans le déni de ses troubles". Alors après deux ans à "essayer de tirer tous les fils possibles" pour qu'il soit pris en charge, ils choisissent cette solution "radicale", persuadés que cette fois il va l'être.

Mais l'expert-psychiatre qui le voit en garde à vue estime qu'il n'a pas besoin d'être hospitalisé, et Paul passe des cellules du commissariat à celles du tribunal, avant la comparution immédiate. Et le renvoi de son procès le temps d'une expertise psychiatrique.

Elle n'aura jamais lieu, les surveillants de la prison de la Santé à Paris le retrouveront pendu dans sa cellule 10 jours plus tard. Il faisait pourtant l'objet d'une surveillance particulière, comme tous les nouveaux arrivants à la Santé, explique une source au sein de la prison.

Devant le tribunal, les avocats de Paul ont parlé de la vulnérabilité des personnes détenues (qui se suicident six fois plus que la population générale selon l'Observatoire international des prisons), des expertises psychiatriques express en garde à vue, de la prise en charge précaire de la santé mentale.

L'avocate de l'association, Me Aurélie Tancelin, y décrit elle ses clients "bouleversés". Elle venait de les informer qu'il n'y aurait pas d'audience. Personne n'avait pensé à les prévenir du suicide de Paul.

"Pour nos équipes c'est un vrai drame et un vrai échec, il n'aurait jamais dû être incarcéré", dit au téléphone Samira El Alaoui, qui peine à cacher sa colère, et sa culpabilité. "On est tous sous le choc. Ce système est une catastrophe."

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