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Au tribunal pour enfants, des mineurs "sur le fil du rasoir"

Tête dans les mains, sans oser regarder la juge des enfants, Nathan* assure avoir compris que se retrouver dans une affaire de stupéfiants pour un peu d'argent "facile" à tout juste 13 ans, "c'est grave". "Vous êtes sur le fil du rasoir", l'avertit la magistrate.

Le tribunal pour enfants (TPE) de Paris a ouvert exceptionnellement ses portes à l'AFP, qui a pu assister à des audiences à huis clos.

Les seize juges des enfants - des femmes uniquement - ont chacune en moyenne 350 dossiers en assistance éducative. La juridiction a été saisie de 3.221 nouvelles affaires au pénal en 2022.

Dans son cabinet encombré de dossiers jusqu'aux rebords de fenêtres, Sandrine Chabaneix désespère. Son audience de l'après-midi "se dégonfle à vue d'oeil".

Un adolescent ne s'est pas présenté; ses parents ont préféré "l'éloigner" de ses mauvaises fréquentations pour l'été. Dans une autre affaire, c'est l'avocat du mineur qui est empêché.

Des dossiers renvoyés en "un claquement de doigts" qui viendront garnir d'autres audiences déjà bien chargées, se désole la magistrate en s'escrimant à faire démarrer un logiciel qui "rame", comme "toujours".

- "Bisous" -

Un autre jeune manque à l'appel, mais celui-là a envoyé une lettre qui fait sourire "Madame la juge". "Bisous et passez une belle journée", conclut l'adolescent qui a décroché une formation et n'a plus fait parler de lui.

Dans le lot, il y a "ceux qu'on voit une fois et qui très vite reprennent le droit chemin", souligne Sandrine Chabaneix.

"Il y a aussi beaucoup de multi-réitérants mais sur un temps donné. C'est propre à l'adolescence", complète sa collègue Doris Doni. Des "jeunes bien insérés" vont aussi, lors des vacances, "se mettre à voler avec des déscolarisés".

L'effet de groupe et l'oisiveté vont souvent de pair avec la délinquance juvénile.

Quid des "parents démissionnaires", pointés du doigt par l'exécutif lors des émeutes ayant suivi la mort de Nahel, tué par un policier fin juin ? Doris Doni tempère: "Ce n'est pas la majorité, loin de là".

En ce début de soirée, deux pères patientent dans la salle d'attente du TPE, où le téléviseur est resté allumé sur une chaîne de dessins animés. L'un pianote nerveusement sur son téléphone, l'autre lutte pour ne pas s'endormir.

A l'instar des majeurs, les mineurs déférés ont souvent passé deux jours en garde à vue et parfois une nuit au dépôt du tribunal. Cela peut en "impressionner" certains, et aussi avoir son "effet", relève Delphine Dionnet, l'une des 18 éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) rattachés au tribunal.

"+Est-ce que je vais aller en prison ?+" demandent selon elle régulièrement les adolescents, auxquels il faut expliquer les échéances à venir tout en rassurant les parents, "sans ressources" mais "jamais je-m'en-foutistes".

- "Bornes temporelles" -

Avec l'entrée en vigueur en septembre 2021 du nouveau code de la justice pénale des mineurs (CJPM), leur jugement s'est accéléré, en plus d'avoir considérablement modifié les pratiques des professionnels.

Désormais, à chaque acte de délinquance doit répondre une audience de jugement.

"Sur le papier, c'est un très beau système", remarque Lisa-Lou Wipf, cheffe du parquet des mineurs. "Il y a des bornes temporelles pour l'adolescent", qui après une garde à vue sera en principe jugé dans un délai d'un an, avec une césure entre une première audience sur la culpabilité et une seconde sur la sanction devant lui permettre de "faire ses preuves".

Mais pour les réitérants, "cette multiplication des audiences est source de perte de sens", estime-t-elle.

La présidente du TPE Pascale Bruston partage le même constat. "On se retrouve avec des jeunes convoqués tout le temps, les éducateurs n'ont pas le temps de faire un travail d'une audience à l'autre".

Même la juge Juliette Morvan semble en perdre son latin. Son audience mensuelle devant le tribunal pour enfants, aux allures de "conseil de classe" pour quelques jeunes bien connus, vire vite au casse-tête.

Tous ont un "patchwork" d'affaires. Et les débats se tenant à publicité restreinte, adolescents, parents et éducateurs doivent quitter la salle dès que cela ne les concerne pas.

La justice se rapproche ici de celle des majeurs. Un juge et deux assesseurs, un greffier, un huissier, un parquetier, un box vitré. Et la possibilité d'y prononcer des peines de prison.

- "Trucs illégaux" -

A ces audiences, les mineurs ne présentent "pas toujours le meilleur d'eux-mêmes", confie la juge Agnès de Bosschère.

Tel cet adolescent de 16 ans qui, "énervé" d'être jugé à 21h passées, ne répondra que par des monosyllabes aux questions de la magistrate.

Difficile également d'arracher plus de quelques mots à trois jeunes hommes à la barre du tribunal pour une série de cambriolages s'ajoutant à beaucoup d'antécédents.

L'un, qui a entretemps eu 18 ans, assure en avoir fini avec les "trucs illégaux". Pour engager une "réflexion", son éducatrice l'a emmené à des comparutions immédiates de majeurs, où la justice peut frapper fort.

L'approche de la majorité, la crainte de la prison ou un placement en centre éducatif fermé ou renforcé peut parfois mettre un "coup d'arrêt" à la délinquance juvénile.

Youssef* ne "sait pas" pourquoi il entrait par effraction chez des gens, en tout cas "c'est du passé", garantit l'adolescent de 15 ans. "C'est très bien d'avoir arrêté, mais comprendre pourquoi on fait les choses, c'est la meilleure manière de ne pas recommencer", encourage la juge Morvan. Mutisme à la barre. De même quand elle évoque brièvement son père incarcéré pour des violences intrafamiliales.

Les causes de la délinquance "sont profondes et complexes, et ce n'est pas une audience, ni deux ou trois, qui va régler cela. Notre objectif, c'est que le jeune comprenne qu'en faisant un certain effort et en acceptant l'aide éducative il pourra se réapproprier sa vie", souligne Pascale Bruston.

- "Deux gouttes d'eau" -

A l'autre bout du long couloir blanc, la porte de la juge Solenne Donal s'ouvre brusquement. Un homme sort en colère, des voix s'élèvent à l'intérieur.

La protection des mineurs en danger est l'autre mission du juge des enfants avec la répression de la délinquance. Deux casquettes qui ont une "visée éducative commune", avec des jeunes se ressemblant "souvent comme deux gouttes d'eau", observe Solenne Donal.

Conséquence des crises sanitaire et économique, les situations des familles s'aggravent et les placements augmentent, conjugués à d'importantes difficultés de recrutement dans le secteur de la protection de l'enfance, ce qui allonge les listes d'attente pour une prise en charge.

Le tribunal de Paris est aussi saisi de nombreux recours de jeunes migrants demandant à être reconnus comme mineurs non accompagnés (MNA). Le juge pourra refuser cette protection si sa minorité n'est pas attestée.

Imed*, un Malien déclarant avoir 16 ans et demi, raconte à Solenne Donal ses deux amis perdus lors de sa traversée en Méditerranée, son errance parisienne, ses "débrouilles" et ses cours du soir.

Sans papiers, difficile pour lui de donner des "indices de minorité". La juge décide de le confier provisoirement à l'Aide sociale à l'enfance (ASE) en attendant le résultat d'un test osseux. "Bonne chance à vous, je pense que votre calvaire va bientôt s'arrêter", dit-elle.

Dans un bureau voisin, sa collègue Stéphanie Arnaud tient une audience moins consensuelle. Elle avait placé des jumelles violentées par leur frère et les parents ne semblent toujours pas, plusieurs mois après, mesurer la "gravité" de la situation. Elle suggère une "thérapie familiale".

Pour un autre adolescent, constatant ses "progrès spectaculaires", elle décide d'arrêter la mesure d'accompagnement en milieu ouvert. Le garçon en semble presque triste. "Ce qui compte, c'est que cela se termine bien", sourit la juge.

*Les prénoms ont été modifiés.

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