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Directrice d'une clinique d'avortement aux Etats-Unis, une lutte sans fin

Jeune fille, Tammi Kromenaker était anti-avortement et affichait fièrement un autocollant "Dieu est pro-vie" dans sa chambre d'étudiante. Une époque sur laquelle celle qui se bat aujourd'hui bec et ongles pour le droit à l'IVG aux Etats-Unis pose un regard plein d'humour.

L'Américaine de 51 ans dirige une clinique d'avortement qu'elle a dû transférer l'été dernier de la ville de Fargo, dans le très conservateur Dakota du Nord, vers Moorhead, dans le plus progressiste Minnesota.

Tammi Kromenaker a beau militer depuis presque 25 ans, les derniers mois lui ont fait l'effet de "montagnes russes", confie-t-elle à l'AFP dans son bureau à la Red River Women's Clinic.

C'est d'abord une fuite, dans un média, qui fait l'effet d'une bombe en mai 2022: la Cour suprême, dominée par les conservateurs, s'apprêterait à annuler la protection fédérale du droit à l'avortement. Puis le 24 juin, les craintes des défenseurs du droit à l'IVG deviennent réalité.

Cela veut dire que la question de l'avortement est renvoyée aux Etats. Ceux qui le voudront (comme le Dakota du Nord) peuvent l'interdire, les autres le protéger (comme le Minnesota).

Pressentant un bouleversement, Tammi avait déjà commencé à chercher de nouveaux locaux avant tout cela. Le déménagement, à l'été, se fait en plusieurs fois et dans la plus grande discrétion pour éviter de possibles perturbations par des militants anti-avortement. Après tout, la clinique de son amie Julie Burkhart, dans le Wyoming, a été incendiée.

Tentant de rester incognito dans le nouveau quartier pendant l'opération, Tammi se cache parfois derrière un chapeau et des lunettes noires.

Elle signe les papiers pour le nouveau bâtiment la veille de la décision de la Cour suprême. Une cagnotte participative en ligne, lancée par des sympathisants avec un objectif de 20.000 dollars, atteint l'incroyable somme d'un million. Le lendemain du déménagement, son père décède.

"Un tourbillon", conclut cette femme blonde et avenante au chaleureux accent du Midwest, qui a une fille et deux beaux-enfants et est animée d'une force tranquille.

- Epine dans le pied des législateurs -

Comment la jeune "fille blanche plutôt privilégiée" et anti-IVG, née dans une famille catholique de la banlieue de Minneapolis, en est-elle venue au militantisme?

Toute jeune, après un drame personnel, elle raconte s'être mise à fréquenter un garçon "accro au skateboard et à la musique punk", qui avait donc "l'air cool". Mais il devient "accro à Jésus, très évangélique", et elle va bientôt commencer à le trouver "bizarre".

En attendant, elle va avec lui à des concerts de musique chrétienne - "je trouvais que c'était rigolo". Elle se souvient notamment d'un livre qu'on lui donne à cette occasion, "avec un foetus sur la couverture".

"Et mon cerveau de jeune fille de 17-18 ans, qui pensait en noir et blanc, (se disait) +ils tuent des bébés+!", explique-t-elle avec un ton à la fois bienveillant et légèrement moqueur pour l'adolescente qu'elle était.

Mais "tout change" à l'université, lorsqu'une amie proche, "élevée dans un foyer tout pareil au mien, avec des parents très stricts", tombe enceinte.

"Mais elle ne peut pas avoir de bébé?", se dit-elle à l'époque. "Nous sommes nous-mêmes des enfants!".

Alors elle la soutient, lui envoie de l'argent pour l'avortement. Et elle se met à réfléchir. Combien d'autres certitudes doit-elle repenser? Pour sa deuxième année à l'université, elle suit un cours sur le féminisme.

C'est le début du processus qui la mènera à travailler dans le milieu, puis à diriger sa propre clinique.

Même si son établissement est dans le Minnesota, Tammi Kromenaker vit toujours dans le Dakota du Nord. Et elle continue d'être une épine dans le pied de ses législateurs.

L'Etat avait prévu une loi dite "gâchette", rédigée pour entrer en vigueur automatiquement aussitôt la jurisprudence modifiée. Un temps bloqué par la justice, le texte a été amendé et promulgué par le gouverneur.

Rejointe par des médecins du Dakota du Nord, Tammi a répliqué, amendant elle aussi sa plainte contre le texte.

"Nous allons quand même continuer à nous battre, aussi longtemps que nous le pourrons", dit-elle.

Et même si elle ne voit aucun dénouement "facile de sitôt", "nous allons trouver une solution", veut-elle croire. "Ne croyez pas que ce soit fini!", lance-t-elle.

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