Partager:
Assis en tailleur dans leur uniforme propret, les élèves de maternelle répondent joyeusement aux questions de l'institutrice, à mesure qu'elle tourne les pages du livre illustré et jongle à certains passages entre l'anglais et le xhosa, deux des 11 langues officielles d'Afrique du Sud.
Dans la salle de classe lumineuse où un employé a fait briller le sol avant l'entrée des élèves, les étagères sont garnies de manuels et de fournitures. Cartables et manteaux, identiques avec le logo de l'établissement, sont soigneusement alignés sur des patères clouées à hauteur d'enfant: le lieu n'a rien à envier aux écoles privées les plus chères du pays.
Pourtant, Ubuntu Pathways est planté au milieu d'un township de plusieurs milliers d'habitants dans la ville côtière de Gqeberha (Port Elizabeth, sud). Au pied de l'imposant bâtiment tout en béton, une enfilade de maisonnettes en briques et d'échoppes en tôle cabossée.
Dans le coin, presque personne n'a de diplôme et la plupart des foyers vivent des aides sociales: "S'ils n'étaient pas ici, ces enfants ne seraient peut-être pas scolarisés du tout", dit à l'AFP Taneal Padayachie, une enseignante de 32 ans.
Trente ans après la fin de l'apartheid, les effets d'un système à deux vitesses offrant une éducation au rabais à la population pauvre se ressentent encore. Plus de 80% des Sud-Africains de dix ans peinent à lire, selon une étude récente.
Conçue comme une école idéale, Ubuntu Pathways s'enorgueillit d'"offrir aux enfants de milieux difficiles ce qui est donné à ceux issus de familles privilégiées".
Pas de frais de scolarité, ni facture de cantine: le budget annuel de 7 millions de dollars est financé par la philanthropie et le soutien de grandes entreprises. Seule limite, la structure n'agit que dans un rayon de 7km.
- Mode survie -
Parmi les 2.000 enfants passés ici depuis un quart de siècle d'existence, la plupart sont nés de mères séropositives: Ubuntu Pathways abrite une clinique gratuite spécialisée dans les grossesses de femmes atteintes du sida.
Au cours des 12 dernières années, 100% des bébés mis au monde ici sont nés sans le virus. La plupart ont ensuite intégré l'école, qui promet un suivi "du berceau au boulot", avec la conviction qu'en subvenant aux besoins en nourriture, soins médicaux et soutien social à la famille, le "cycle de la pauvreté" peut être brisé.
"Garder une mère en vie est la clé pour maintenir un foyer stable", martèle le fondateur, Jacob Lief, 46 ans. "A la minute où la mère meurt, l'enfant passe en mode survie et tombe dans le sexe transactionnel, le crime..."
Cheveux longs, bracelets en ficelles et une turquoise à l'oreille, ce New-Yorkais a posé la première fois un pied en Afrique du Sud lors d'un voyage de jeunesse, à 17 ans. A l'époque, Nelson Mandela sort de prison et le monde scrute fiévreusement la transition démocratique du pays.
Lorsqu'une femme de 85 ans lui raconte avoir attendu 30 heures pour voter aux premières élections démocratiques en 1994, c'est un choc. "C'était la première fois de mon existence, élevé par des parents éduqués, que je me suis posé des questions sur le sens des mots liberté et démocratie", se souvient-il.
Entré à la fac, il quitte les Etats-Unis pour un petit boulot en Afrique du Sud. Après des déboires, il se retrouve à bord d'un train au départ du Cap et rencontre un instituteur noir. Parti pour partager une bière dans un bar informel du township de Gqeberha, il reste finalement six mois avec son nouvel ami, Malizole "Banks" Gwaxula, donnant un coup de main à des projets communautaires ou à l'école du coin.
Au fil de longues conversations, les deux hommes jettent les bases de leur ONG, autour du concept sud-africain de fraternité appelé "Ubuntu", littéralement "je suis parce que tu es" en langue locale.
Aussi pour offrir autre chose que d'autres organisations, qui "distribuent des ballons de foot" aux gamins du quartier et repartent "avec de belles photos".
"L'avenir d'un enfant ne doit pas être déterminé par l'endroit où il naît", reste convaincu Jacob Lief.