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Après un mois d'attente et une crise ouverte par François Bayrou, Emmanuel Macron et Gabriel Attal ont fini jeudi par nommer la deuxième moitié d'un gouvernement un peu moins resserré qu'espéré, avec l'entrée de Nicole Belloubet à l'Education nationale à la place d'Amélie Oudéa-Castéra.
Affaiblie par des semaines de polémiques pour avoir critiqué d'emblée l'école publique, "AOC" est ainsi rétrogradée mais reste ministre des Sports et des JO en cette année olympique, selon la liste dévoilée par l'Elysée dans un communiqué. Saluant son "engagement total", M. Attal a aussi admis "un trouble, un malaise" autour de Mme Oudéa-Castéra pour justifier ce mouvement.
Son grand ministère n'aura été qu'éphémère: Nicole Belloubet, 68 ans, ministre de la Justice lors du premier quinquennat du chef de l'Etat, récupère les dossiers de l'école et de la jeunesse.
Ancienne rectrice, la nouvelle ministre chargée de la "mère des batailles", comme Emmanuel Macron et Gabriel Attal ont baptisé les réformes scolaires, est aussi issue du Parti socialiste. Un petit gage à l'aile gauche macroniste, après la droitisation constatée lors de la première salve de nominations, dont la sarkozyste Rachida Dati avait été la grande surprise à la Culture.
En tout, 20 personnalités viennent prêter main forte aux 14 ministres nommés le 11 janvier, pour s'occuper de secteurs-clés qui étaient en souffrance, mais cinq seulement sont de nouveaux entrants. Au total, avec 35 membres dont le Premier ministre, le gouvernement est resserré mais au-delà de l'objectif de 30 membres maximum que s'était fixé le duo exécutif.
- "Technocratie gestionnaire" -
Après 48 heures d'intenses tractations qui ont viré au psychodrame, François Bayrou n'en fait donc pas partie. Le président du MoDem a ouvert une crise dans la Macronie en invoquant mercredi soir de vives divergences politiques et une "dérive" vers une "technocratie gestionnaire" pour expliquer son refus de devenir ministre.
Son parti centriste, principal allié du président dans une Assemblée nationale sans majorité absolue, conserve toutefois quatre représentants au sein de l'exécutif: en plus du ministre de l'Agriculture Marc Fesneau, il s'agit de l'entrante Marina Ferrari qui remplace Jean-Noël Barrot au Numérique, ce dernier qui passe à l'Europe, et Sarah El Haïry, qui laisse la Biodiversité pour récupérer l'Enfance, la Jeunesse et les Familles.
En revanche le MoDem Philippe Vigier laisse les Outremer à une députée du parti présidentiel Renaissance, Marie Guévenoux.
Comme ces deux nouvelles recrues, le reste des ministres délégués et secrétaires d'Etat nommés jeudi sont peu connus du public.
La plupart sont des repêchés de l'équipe d'Elisabeth Borne, dont seul Stanislas Guerini revient avec un ministère de plein exercice, à la Fonction publique.
A Bercy, Roland Lescure gérera l'Energie en plus de l'Industrie, et Olivia Grégoire est confirmée aux Entreprises, au Tourisme et à la Consommation, comme Thomas Cazenave aux Comptes publics. Idem pour Sabrina Agresti-Roubache (Ville et Citoyenneté) et Dominique Faure (Collectivités territoriales et Ruralité).
A la Santé, autre dossier prioritaire du quinquennat, l'ex-président de la Fédération hospitalière de France Frédéric Valletoux, député du parti Horizons d'Edouard Philippe, est nommé ministre délégué sous la houlette de Catherine Vautrin.
Un temps évoquée pour ce poste sensible, l'ex-ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher est ministre déléguée à l'Agriculture, après la crise qui vient de secouer le secteur.
Clément Beaune, figure de l'aile gauche qui avait agacé Emmanuel Macron en critiquant la loi immigration, n'est pas reconduit aux Transports, remplacé par l'ex-ministre du Logement Patrice Vergriete.
Ce dernier, qui avait également laisser filtrer quelques états d'âmes sur l'immigration, ne subit donc pas le même sort. Il cède son fauteuil au Logement au député Renaissance Guillaume Kasbarian, un libéral revendiqué.
Le casting avait viré au casse-tête, avec les équilibres à respecter, le cas "AOC" à trancher et, in extremis, le psychodrame autour de François Bayrou.
L'allié centriste d'Emmanuel Macron a expliqué mercredi soir à l'AFP que, "sans accord profond sur la politique à suivre", il ne pouvait accepter l'Education nationale ou la Réforme de l'Etat, les deux domaines prioritaires où il se serait bien vu aux manettes.
Les propos du patron ont suscité des critiques au sein même de sa formation, à l'instar du député Jean-Louis Bourlanges qui a déploré une démarche qui "affaiblit" la majorité et "discrédite" le MoDem.
Au-delà du remaniement, la prise de distance de François Bayrou a mis au jour des clivages profonds dans le camp présidentiel.
- Parfum de crise -
Et celui qui est toujours haut-commissaire au Plan mais aussi "élu de la province la plus lointaine de France" s'est aussitôt placé dans la perspective de la présidentielle de 2027, dont "l'enjeu" est selon lui de "réconcilier la France qui se bat en bas avec la France qui décide en haut". "Je n'ai jamais renoncé à aucun des devoirs qui sont les miens", a-t-il prévenu.
Au sommet de l'Etat, on faisait mine de vouloir laisser la tempête passer.
En déplacement dans le Pas-de-Calais auprès de sinistrés des inondations, le Premier ministre a estimé que leur situation permettait de prendre "beaucoup de recul" sur "quelques péripéties politiques", semblait faire allusion aux soubresauts des dernières heures.
"Quand on est un mouvement avec différentes sensibilités, il faut accepter parfois qu'elles s'expriment", philosophait aussi un proche d'Emmanuel Macron.
A l'inverse, les oppositions ont immédiatement humé le parfum de crise politique. "Bienvenue dans l'opposition", ont ironisé de concert les chefs de file des députés socialistes et des Républicains, Boris Vallaud et Olivier Marleix. Ce dernier a déploré "un mois et demi de cinéma, de théâtre autour d'un remaniement ministériel".