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En pénétrant dans l'immense hall en béton abritant la machine, bercé par le souffle régulier d'un puissant système de ventilation, le visiteur plonge dans un antre rappelant l'atmosphère irréelle de films de science-fiction comme "2001, l'Odyssée de l'Espace" ou "Solaris".
Au fond du hall, un cylindre cuirassé de 15,5 mètres de haut pour 13,7 mètres de diamètre, constellé de tubes, de pompes et d'échafaudages dignes d'une cathédrale: voici le JT-60SA, actuellement le plus grand réacteur de fusion nucléaire opérationnel au monde.
L'énergie de fusion, qui fait briller le Soleil et les autres étoiles, "est une grande quête de la recherche énergétique (...), depuis les premières tentatives dans les années 1950-1960 de trouver un moyen de reproduire la puissance du Soleil sur la Terre", rappelle à l'AFP Sam Davis, chercheur germano-britannique responsable du projet JT-60SA.
Ce projet commun entre le Japon et l'Union européenne a été inauguré en décembre dernier après 15 ans de travaux à l'Institut de fusion de Naka, à une centaine de kilomètres au nord-est de Tokyo.
La longue quête mondiale de la fusion est désormais stimulée par l'urgence de la crise du climat.
Le réchauffement climatique est "une menace immédiate", et à ce titre "il doit être combattu avec des solutions dont nous disposons déjà", comme les énergies renouvelables. Mais à l'avenir, "la fusion nucléaire pourra certainement contribuer au mix énergétique", ajoute M. Davis, en se gardant toutefois d'avancer une échéance.
Car la fusion nucléaire "ne génère pas de CO2" et pas de déchets radioactifs à vie longue, comme elle n'utilise "ni uranium, ni plutonium", précise Takahiro Suzuki, responsable adjoint de l'équipe japonaise du JT-60SA.
- La cuisine complexe du plasma -
La fusion utilise deux atomes légers d'hydrogène présents en très grande quantité sur Terre, directement ou indirectement: le deutérium et le tritium. "Avec un seul gramme de ce combustible, on peut obtenir une énergie équivalente à celle de huit tonnes de pétrole", souligne M. Suzuki.
C'est le processus inverse de la fission, la technique utilisée dans nos centrales nucléaires actuelles, qui consiste elle à casser les liaisons de noyaux atomiques lourds.
"En fusion nucléaire, il n'y a pas de réaction en chaîne, donc la réaction s'arrête facilement", contrairement à la fission, rappelle M. Suzuki.
C'est un bon point pour la sécurité, mais un sérieux inconvénient pour viser une production d'énergie en continu.
Pour provoquer la fusion, il faut parvenir à créer du plasma - un gaz chaud électriquement chargé - et le maintenir à des températures incroyablement élevées, d'au moins 100 millions de degrés Celsius.
Il faut aussi contrôler la densité du plasma et le confiner pour le tenir à distance des parois de la chambre à vide en forme d'anneau où il est généré, sans quoi la fusion cesserait immédiatement.
Le JT-60SA est un "tokamak", c'est-à-dire un réacteur à fusion dont le plasma est contrôlé et confiné par des méga-aimants.
C'est un projet satellite d'Iter, le tokamak géant en construction dans le sud de la France, un programme international de recherche dont l'achèvement du chantier a déjà été maintes fois repoussée en raison de nombreux déboires, faisant flamber ses coûts astronomiques - plusieurs dizaines de milliards d'euros.
Le JT-60SA sera une sorte de laboratoire à grande échelle pour faciliter le futur démarrage d'Iter. Il sera aussi "complémentaire" en effectuant certaines expériences différemment, explique M. Davis.
- Records américains et chinois -
Les Américains sont parvenus les premiers, fin 2022, à produire davantage d'énergie par fusion à celle nécessaire pour alimenter la réaction, un point essentiel pour que cette source d'énergie soit viable à l'avenir.
Les Etats-Unis ont utilisé pour ce faire une autre technique de fusion, par confinement dit inertiel, au moyen d'un laser ultra-puissant.
"Il reste encore d'énormes défis techniques à relever pour pouvoir répéter (ce procédé, NDLR) d'une manière utile", et non pas juste pendant "une petite fraction de seconde", prévient toutefois M. Davis.
Les tokamaks à aimants supraconducteurs comme le JT-60SA et Iter sont une voie "beaucoup plus adaptée" pour obtenir un jour une production régulière d'électricité, selon lui.
Mais il reste là aussi beaucoup de chemin à parcourir.
Détenu actuellement par la Chine, le record mondial de maintien d'un plasma à 120 millions de degrés Celsius est de seulement 101 secondes.
Le JT-60SA est lui prévu pour tourner à 200 millions de degrés Celsius jusqu'à 100 secondes. Atteindre cet objectif prendra encore quelques années, le temps notamment de renforcer considérablement ses systèmes de chauffage du plasma.