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La majorité des discriminations subies passent encore sous les radars, souligne auprès de l'AFP la défenseure des droits Claire Hédon, qui évoque la crainte persistante de représailles de la part des victimes.
La présidente de cette instance indépendante, qui organise jeudi un colloque à l'occasion des trois ans de sa plateforme de signalement des discriminations, appelle à un sursaut général et à ne plus "faire tout peser sur les épaules des victimes".
Question : Quel bilan dressez-vous de la plateforme de signalements?
Réponse : L'objectif de cette plateforme, c'était vraiment de faciliter les recours par les victimes de discrimination. Nous recevons en moyenne par an 6.500 réclamations à ce sujet, or ce chiffre n'est pas du tout représentatif de l'ampleur des discriminations dans le pays.
Les réclamations que nous traitons, tout comme les personnes qui vont devant les tribunaux, ce n'est que la partie émergée de l'iceberg, et ce notamment parce que les victimes ont peur des représailles ou se disent qu'elles n'ont pas suffisamment de preuves.
Je prends l'exemple d'une affaire récente: une femme qui avait dénoncé du harcèlement sexuel dans son entreprise. Après enquête interne, on lui a dit qu'il n'y avait pas de harcèlement sexuel et elle a été licenciée pour dénonciation calomnieuse. Alors que nous, au cours de notre enquête, on s'est aperçu qu'il y avait quatre autres femmes qui avaient démissionné ou avaient été poussées à la démission, que la personne en question avait aussi eu des pratiques harcelantes dans des emplois précédents... C'est ce genre de situation qui alimente la crainte des représailles: une femme qui dénonce un harcèlement et au bout du compte elle est licenciée.
Cela veut dire qu'on ne peut absolument pas continuer de faire peser le poids des discriminations uniquement sur les victimes en disant qu'il faut qu'elles aillent devant les tribunaux ou devant la défenseure des droits et que cela réglera le problème.
Question : Les choses ont-elles évolué ces dernières années ?
Réponse : Les discriminations ont la vie dure. On commence à admettre qu'il y a des discriminations sur la question du handicap quand il n'y a pas, par exemple, un aménagement raisonnable du poste de travail. Sur le retour de congé maternité, on voit encore trop souvent des femmes poussées à la démission ou qui ne retrouvent pas un poste équivalent à salaire équivalent alors qu'on a pourtant une loi très claire et très protectrice.
Là où on n'avance vraiment pas, c'est sur la question de la discrimination liée à l'origine qui est encore très présente et est certainement la plus difficile pour des raisons de preuves.
En 20 ans, on a certes avancé entre autres avec la création d'organismes indépendants, il y a eu des plans gouvernementaux, il y a eu la loi sur l'action de groupe. Mais ce n'est certainement pas suffisant.
Question : Que faudrait-il faire?
Réponse : Il faudrait une grande campagne de communication expliquant ce que sont les discriminations, pourquoi c'est délétère pour les personnes et pour la cohésion sociale. Il faut que la société dans son ensemble intègre le fait qu'on a tous intérêt à lutter contre les discriminations, parce que les conséquences sont immenses en termes psychiques mais également en termes de parcours de vie professionnelle ou de vie familiale.
Comme on ne peut pas tout voir, il faudrait également mettre en place, comme cela existe dans de nombreux pays, un observatoire qui évalue et qui fait un point de façon régulière sur l'état des discriminations dans le pays grâce aux travaux de recherche et aux travaux d'enquête.