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Après des élections n'ayant débouché sur aucune majorité claire, le Pakistan se prépare à des semaines d'incertitude politique, avec des résultats contestés en justice et des tractations ardues pour former un gouvernement de coalition, ont estimé lundi des analystes.
La bonne performance des candidats indépendants soutenus par l'ancien Premier ministre emprisonné Imran Khan a empêché le favori du scrutin, la Ligue musulmane du Pakistan (PML-N) de Nawaz Sharif, autre ex-Premier ministre, d'obtenir la majorité absolue.
Le parti d'Imran Khan, le Pakistan Tehreek-e-Insaf (PTI), a subi une implacable répression, qui a paralysé sa campagne et contraint ses candidats à se présenter en indépendants. Mais ceux-ci sont tout de même arrivés en tête du scrutin législatif.
La coupure des services de téléphonie et d'internet mobiles jeudi, jour du scrutin, et la lenteur du décompte des résultats éveillent des soupçons de tentatives de manipulations du processus électoral par les militaires, visant à faire gagner la PML-N. Le PTI affirme qu'il aurait sans cela remporté encore plus de sièges.
"Il y a trois défis potentiels à la légitimité des élections: des procédures judiciaires prolongées, des manifestations et de possibles violences", a déclaré à l'AFP l'analyste politique Amber Rahim Shamsi.
Les indépendants soutenus par le PTI ont obtenu 90 sièges à l'Assemblée nationale. Mais un gouvernement ne peut être formé que par un parti ou une coalition formellement reconnus. Ils devront donc s'allier à un autre parti pour pouvoir prétendre en faire partie.
Une alliance entre la PML-N et le Parti du peuple pakistanais (PPP), de Bilawal Bhutto Zardari, reste le scénario le plus probable.
Fondés sur des dynasties familiales et traditionnellement rivaux, la PML-N et le PPP se sont partagé le plus clair du pouvoir avec l'armée depuis des décennies. Ils avaient toutefois déjà formé un gouvernement de coalition après l'éviction d'Imran Khan du poste de Premier ministre en 2022.
- Rôle délicat pour les tribunaux -
"A court terme, il sera difficile pour toute coalition née d'élections fortement controversées dans un environnement politique chargé en émotion de mettre en oeuvre les réformes impopulaires dont le Pakistan a désespérément besoin", a estimé Mme Shamsi.
Au moins une demi-douzaine de petits partis ont remporté un siège ou deux, et seraient disposés à accueillir des indépendants dans leurs rangs.
Ils pourraient alors obtenir une part des 70 sièges réservés aux femmes et aux minorités religieuses.
Mais cette manoeuvre n'a jamais eu lieu sur une telle échelle par le passé et serait assurément contestée en justice.
"Les tribunaux ont un rôle particulièrement délicat à jouer en ce moment", souligne l'avocat Osama Malik. "Ils vont aussi devoir décider si un recompte doit être ordonné dans diverses circonscriptions".
Les dirigeants du PTI affirment avoir reçu "le mandat du peuple" pour former le prochain gouvernement.
La police a tiré des gaz lacrymogènes dimanche pour disperser des rassemblements pro-PTI, après avoir prévenu que des mesures strictes seraient prises contre toute manifestation.
Aux Etats-Unis, interrogé lundi sur l'utilisation par la police pakistanaise d'une loi datant de l'époque coloniale contre les rassemblements d'au moins cinq personnes, le porte-parole du département d'Etat, Matthew Miller, a insisté pour que "la liberté de réunion soit respectée partout dans le monde".
"Nous estimons que les accusations de fraude doivent faire l'objet d'une enquête approfondie", a-t-il ajouté, tout en évoquant "une élection ouverte" et disant les Etats-Unis "prêts à travailler avec le gouvernement une fois qu'il sera formé".
L'Onu a elle appelé à résoudre les différends en recourant aux "cadres légaux existants".
Son secrétaire général Antonio Guterres "exhorte les autorités et les dirigeants politiques à maintenir une atmosphère calme et à rejeter et à s'abstenir de toute forme de violence", a déclaré à la presse son porte-parole Stéphane Dujarric.
- Elections partielles -
Des centaines de responsables et de supporteurs du PTI avaient été arrêtés l'an passé, après que des manifestations en faveur d'Imran Khan en mai avaient dégénéré en violences.
L'ancien joueur vedette de cricket n'a pas pu se présenter aux élections après avoir été condamné à de longues peines de prison pour trahison, corruption et mariage non islamique, juste avant le scrutin.
Il a accusé l'armée d'avoir orchestré sa chute en 2022 et d'être à l'origine de ses ennuis judiciaires, pour l'empêcher de revenir au pouvoir.
Des élections partielles devront aussi se tenir dans différentes circonscriptions.
Particularité du système électoral pakistanais, il est en effet possible à un candidat de se présenter dans diverses circonscriptions. S'il est vainqueur dans plusieurs, il doit choisir laquelle il souhaite représenter, et des partielles ont lieu dans la ou les autres.
Quelle que soit sa composition, la future coalition sera confrontée à une multitude de lourds défis, économiques et sécuritaires en particulier.
"Aucun gouvernement n'aura le luxe de disposer de temps et de sécurité politique après ces élections", a souligné Mme Shamsi.