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Une affaire qui illustre "le risque de corruption au sein de nos propres institutions": un réseau mettant en cause deux agents de la prison de Meaux (Seine-et-Marne), dont une greffière, a été démantelé après des remises ou tentatives de remise en liberté de trafiquants de drogue.
Au total, six personnes, dont deux travaillaient au centre pénitentiaire de Meaux, ont été mises en examen pour corruption active et passive par et sur personne chargée d'une mission de service public, escroquerie en bande organisée au jugement, détournement de la finalité de fichiers, association de malfaiteurs en vue de délits punis de dix ans d'emprisonnement, a confirmé jeudi à l'AFP le parquet de Paris.
"La juridiction interrégionale spécialisée (Jirs) de Paris avait chargé la section de recherches de Paris (gendarmerie) des investigations en mai 2022, à la suite de la découverte de plusieurs consultations et modifications de fichiers suspectes au sein du centre pénitentiaire de Meaux, ainsi que de remises ou tentatives de remise en liberté imputables à la non-transmission des demandes dans les délais procéduraux", a précisé dans un communiqué la procureure de la République de Paris, Laure Beccuau.
Après leur mise en examen mercredi à Paris par un juge spécialisé, ces trois hommes et trois femmes ont été placés en détention provisoire, après l'examen à huis clos de leur dossier par un juge des libertés et de la détention.
- Modification des fiches pénales -
Au centre des investigations, une greffière de l'administration pénitentiaire en poste à Meaux, âgée d'une trentaine d'années, est soupçonnée d'avoir modifié des fiches pénales et de ne pas avoir transmis certaines demandes, ce qui aurait eu pour conséquence de faire tomber des mandats de dépôt.
Selon une source proche de l'enquête, elle aurait été approchée par des détenus afin de les faire sortir, d'abord sur le ton de la plaisanterie, puis aurait été menacée et intimidée pour exécuter leurs demandes.
Devant les enquêteurs, elle a reconnu une partie des faits reprochés, mais a démenti avoir touché de l'argent ou une quelconque contrepartie, d'après cette source.
L'un des enjeux des investigations sera d'établir si les erreurs entrées dans les fiches pénales ou les délais non respectés sont tous volontaires et commandités, ou s'il s'agit de simples erreurs dues à un manque de formation ou à un rythme de travail trop soutenu.
Sont également mises en cause une autre femme travaillant au centre pénitentiaire et sa sœur.
"Avaient et auraient bénéficié de ces interventions des personnes mises en examen ou déjà condamnées pour des faits de grande criminalité", a souligné Mme Beccuau.
Parmi eux, Firat C., né en 1987, en détention pour direction de groupement ayant pour objet le trafic illicite de stupéfiants, un crime faisant encourir la perpétuité, selon une source proche de l'enquête.
Et Ibrahim D., en détention pour extorsion avec arme, association de malfaiteurs, séquestration, détention d'armes de guerre.
"Je regrette amèrement que la justice ait décidé de placer en détention mon client avant de procéder à des vérifications pourtant élémentaires qui étaient à leur disposition et qui auraient pu être faites depuis des mois", a réagi Me Sarah Mauger-Poliak, avocate d'un troisième mis en examen, qui bénéficiait d'un aménagement de peine.
- Renforcer les contrôles -
Les avocats des autres mis en examen, dont Mes Martin Vettes, Fabian Lahaie, Guillaume Herzog, Hugo Jaroussie et Gabrielle Barnaud, n'ont pas souhaité s'exprimer.
Pour Laure Beccuau, "cette affaire est à mettre en perspective avec des alertes déjà exprimées" sur "le risque de corruption au sein de nos propres institutions en lien avec la criminalité organisée".
La corruption est "un des outils des trafics", a affirmé récemment à l'AFP la cheffe de l'Office anti-stupéfiants (Ofast) Stéphanie Cherbonnier, appelant à "renforcer les contrôles internes".
"La question de la corruption est de plus en plus présente dans nos dossiers (...) Ces organisations ont une surface financière qu'on n'imagine pas en réalité tellement elle est importante", a pointé au Sénat la juge d'instruction spécialisée Sophie Aleksic.
Pour François Antona, chef de la section anticriminalité organisée au sein du parquet de Paris, interrogé lors d'un colloque en octobre, les organisations peuvent "recruter un agent déjà en poste et le conduire à passer de l'autre côté", ou "infiltrer les institutions en faisant passer le concours de policier, greffier ou surveillant pénitentiaire à untel pour avoir quelqu'un dans la maison".