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Elle aurait pu choisir la voie de l'exil comme de nombreux jeunes Iraniens, mais Shahrzad Shokouhivand préfère "vivre l'aventure" dans son pays où elle est devenue une pâtissière reconnue malgré les obstacles.
"C'est en travaillant ici que les choses changeront en Iran", affirme cette femme de 36 ans, dans l'un de ses deux chics cafés-pâtisseries ouverts à Téhéran.
Shahrzad Shokouhivand reconnaît s'être posée, avec son mari, la question de quitter son pays. "La plupart de nos amis sont partis au Canada, aux Etats-Unis ou en Australie. Mais nous avons décidé de ne pas émigrer", explique ce dernier, Babak Mehrabani.
Partir ou rester? Le choix fait réfléchir de nombreux jeunes diplômés, qui se pressent pour trouver leur place sur le marché de l'emploi dans un contexte économique tendu, dont les difficultés sont accentuées par l'impact des sanctions internationales.
A cela se sont ajoutées les incertitudes liées au mouvement de contestation qui a secoué le pays à la suite de la mort de Mahsa Amini, une femme de 22 ans qui avait été arrêtée pour infraction au code vestimentaire strict de la République islamique.
"Malgré tout, je suis optimiste pour les femmes en Iran", assure Shahrzad Shokouhivand, qui, comme d'autres habitantes de Téhéran, veut croire que "les choses changent".
"Ce que je vois sur les visages des femmes aujourd'hui est très différent d'il y a six mois", constate aussi Minoo, une cuisinière de 27 ans, en remarquant, par exemple, que le port du voile a tendance à reculer dans les espaces publics de la grouillante capitale.
Mais une telle évolution perturbe certaines femmes, comme Homeira, enseignante à la retraite de 58 ans, qui a "grandi avec le voile". "Le hijab est la loi de notre pays et nous devons respecter la loi. Malheureusement, nos jeunes ne l'acceptent pas et critiquent la religion", déplore-t-elle, tout en défendant le droit à chacune de choisir.
- "Travailler plus dur" -
Evoquant son expérience, Shahrzad Shokouhivand assure que, "comme femme, vous devez travailler encore plus dur pour réussir en affaires, à la maison et dans la vie sociale": Mais "ces difficultés font avancer".
Pour réaliser son "rêve d'enfant" de devenir pâtissière, elle s'est juste éloignée de Téhéran pour aller vivre trois mois à Paris, afin d'y suivre les cours de base de l'école de cuisine du Cordon bleu en 2017.
A son retour, elle ouvre sa première pâtisserie dans le centre en remplaçant une boutique de sacs à main dont elle garde le nom français "femme chic". S'y pressent des Téhéranais plutôt fortunés pour y déguster tartes tatins, Paris-Brest, babas revisités sans rhum et même kouign-amann bretons.
Cinq ans plus tard, la société de Shahrzad Shokouhivand et Babak Mehrabani emploie 70 personnes, dont une majorité de femmes, et est rentable, même si elle a dû récemment réduire ses marges pour tenir compte de la très forte inflation en Iran.
"En dépit du contexte incertain, nous restons ambitieux", assure le couple. Qui étudie l'ouverture de nouvelles pâtisseries dans d'autres villes iraniennes comme Chiraz (sud) ou Mashhad (est), mais aussi à l'étranger, notamment à Dubaï ou Doha s'il trouve des partenaires locaux, et avec l'envie "un peu folle" d'ouvrir à Paris.
En attendant, Shahrzad Shokouhivand espère voir levées les sévères sanctions économiques, surtout américaines, qui frappent l'Iran. "A cause d'elles, il est très difficile de trouver du chocolat de qualité, du bon beurre ou de la vanille", des ingrédients indispensables à la pâtisserie.
"Cela nous oblige à être créatifs", notamment en utilisant davantage les riches ressources du pays en fruits et épices, comme la pistache, la noisette ou le safran, explique-t-elle.
Le baba au rhum est ainsi devenu le baba tabrizi, une création originale qui a l'apparence du célèbre gâteau français et le goût d'un dessert de la région de Tabriz (nord-ouest), dans lequel un sirop de cardamone et safran remplace le rhum, l'alcool étant prohibé en Iran.